Questions juridiques
Le service juridique édicte régulièrement des synthèses pratiques portant sur des questions juridiques récurrentes qui lui sont soumises par les entrepreneurs. Celles-ci sont publiées sous un onglet Questions juridiques sur la page principale du site de la Fédération vaudoise des entrepreneurs. Périodiquement, certaines d’entre elles sont proposées dans le cadre de la présente chronique.
Sous-traitance : contrôle du statut d’indépendant sous l’angle des assurances sociales
Mon entreprise entend sous-traiter des travaux à une entreprise ou un indépendant. Comment m’assurer que le sous-traitant envisagé bénéficie bien d’un statut d’indépendant reconnu sur le plan des assurances sociales ? – Contribution d’Audrey Treccani, juriste au service juridique de la FVE.
1. Activité dépendante versus indépendante sous l’angle du droit des assurances sociales
Lorsqu’une entreprise sous-traite du travail à une société tierce ou à un indépendant, une vigilance accrue est nécessaire avant la signature même du contrat. Il est impératif de s’assurer du statut d’indépendant du sous-traitant et du respect de ses obligations en matière d’assurances sociales. Prévoir contractuellement la remise régulière d’attestation d’assurance du sous-traitant à l’adjudicataire est nécessaire mais non suffisant.
1.1 Le critère déterminant ? La réalité économique.
La qualification d’une activité ne dépend pas de la désignation utilisée dans le contrat (ex: sous-traitance), ni de la forme juridique du prestataire (entreprise individuelle, Sàrl, SA), mais uniquement de la nature économique des rapports de travail et des circonstances concrètes de l’activité.
1.2 Rôle des autorités ?
Les caisses AVS et, particulièrement dans la construction, la SUVA, ont pour tâches de se prononcer sur la qualité d’indépendant. Elles procèdent à cet effet à une appréciation globale des faits pour déterminer dans chaque cas d’espèce si une personne/entreprise doit être ou non considérée comme indépendante sous l’angle des assurances sociales.
Une décision de la SUVA requalifiant une activité de « dépendante » est un indice fort que les autres assurances sociales adopteront la même qualification, en raison de l’application de principes jurisprudentiels convergents.
1.3 Critères jurisprudentiels de distinction ?
La distinction entre l’activité indépendante et dépendante n’émane pas d’un article de la loi, elle ressort d’une multitude de critères jurisprudentiels développés pour distinguer les deux statuts.
Une activité est considérée comme dépendante si la personne est soumise à un rapport de subordination juridique, économique ou organisationnelle vis-à-vis de son donneur d’ordre. Cela nécessite de démontrer que la société assume un risque économique propre, dispose d’une clientèle diversifiée, utilise ses propres moyens de production et n’est pas soumise à une subordination significative vis-à-vis de l’entreprise lui adjugeant du travail.
L’absence de risque économique propre et la dépendant économique et organisationnelle du sous-traitant vis-à-vis de l’adjudicataire sont des critères clairs permettant de conclure à l’absence d’indépendance.
Les principaux critères examinés sont :
- Lien de subordination :Intégration dans l’organisation du donneur d’ordre, réception d’instructions, contrôle, absence de liberté dans l’organisation du travail.
- Risque économique propre :L’indépendant assume son propre risque (investissements, frais fixes, rémunération liée au succès). L’absence de ce risque plaide pour une activité dépendante
- Clientèle propre :L’indépendant travaille pour plusieurs clients. Une dépendance économique envers un seul donneur d’ordre est un indice de salariat.
- Propres moyens de production :L’indépendant utilise ses propres moyens. La fourniture de matériel par le donneur d’ordre indique une dépendance.
La jurisprudence considère en outre que les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante. Leur statut d’indépendant n’est reconnu que si les caractéristiques de la libre entreprise dominent manifestement et qu’ils traitent sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur (TF 9C_162/2024). La décision est prise au cas par cas (ATF 97 V 217 ; ATF 123 V 161).
2. Quel risque encourt l’adjudicataire si les assurances sociales considèrent que son sous-traitant est en réalité un travailleur dépendant ?
2.1 L’entièreté des cotisations doit alors être assumé par l’adjudicataire donneur d’ordres
En cas de requalification, l’entreprise adjudicataire est considérée comme l’employeur de fait. Elle est alors tenue de verser l’entier des cotisations sociales (soit la part employeur, mais aussi la part employé) sur la rémunération versée au mandataire requalifié de « dépendant ». La caisse AVS est ainsi en droit d’effectuer une reprise rétroactive sur une période de 5 ans et les montants réclamés sont soumis à un intérêt moratoire de 5% l’an (Art. 14 al. 1 et 51 al. 1 LAVS).
2.2 La requalification en droit des assurances sociales n’affecte pas la nature du contrat passé entre les parties.
Le fait que l’AVS requalifie le rapport de dépendant n’a pas pour effet de transformer le contrat liant les parties en contrat de travail. Le contrat d’entreprise reste un contrat d’entreprise et les parties sont libres d’en exiger l’exécution.
Autrement dit, en l’absence d’une clause contractuelle spécifique autorisant l’adjudicataire à retenir une partie du prix convenu en prévision d’une éventuelle requalification au sens de l’AVS, celui-ci n’aurait d’autre recours, pour tenter de récupérer les cotisations sociales qu’il aurait dû payer, que d’intenter une action en enrichissement illégitime (art. 62 ss CO). A défaut d’accord spécifique avec le sous-traitant, l’entreprise adjudicataire risquerait alors de payer à la fois le prix du contrat et les cotisations réclamées.
3. Comment l’entreprise adjudicataire peut-elle éviter ce type de déconvenue ?
3.1 Contrôle des documents usuels
Pour se prémunir contre ces risques, il est recommandé de demander les documents suivants au sous-traitant avant de signer tout contrat :
- Extrait du Registre du Commerce :Vérification de la forme juridique et de l’inscription officielle (Art. 8b al. 3 ODét).
- Attestation d’affiliation AVS :Preuve de reconnaissance du statut d’indépendant par la caisse de compensation AVS.
- Certificat LAA et autres assurances :Assujettissement à l’assurance-accidents (LAA) pour les salariés du sous-traitant, ou assurance-accidents facultative pour le dirigeant indépendant. Copie de la police d’assurance Responsabilité civile et de perte de gain maladie.
- Preuves d’investissements propres :Factures d’achat de matériel, outillage, véhicules, bail de location de bureaux, etc., attestant des coûts d’exploitation et moyens de production propres.
- Formulaire A1 (si étranger) :Obligatoire pour les prestataires de services étrangers détachant du personnel en Suisse.
- Contrats de travail des employés (si applicable) :Pour confirmer l’emploi de personnel propre et la conformité au droit du travail suisse.
- Liste des clients et contrats de services :Pour démontrer une clientèle diversifiée et l’absence de dépendance économique.
- Documents marketing et commerciaux :Site web, brochures, cartes de visite, annonces publicitaires, prouvant une présence indépendante sur le marché.
- Attestation de non-subordination :Déclaration écrite confirmant l’autonomie d’organisation et l’absence d’instructions hiérarchiques.
- Documents fiscaux et comptables (optionnel) :Bilans, comptes de profits et pertes, déclarations fiscales pour évaluer la solidité financière et la déclaration des revenus comme indépendants.
3.2 Parfaire la rédaction du contrat de sous-traitance
Il est crucial de rappeler que la réalité des faits prévaut toujours sur la forme juridique ou contractuelle aux yeux des autorités des assurances sociales. En demandant ces documents et en veillant à la rédaction appropriée du contrat, l’entreprise adjudicataire peut toutefois renforcer sa position et démontrer qu’elle a pris toutes les précautions nécessaires pour s’assurer du statut d’indépendant de son sous-traitant.
Liberté organisationnelle et absence subordination : On veillera à faire mention claire dans le contrat de sous-traitance que la société sous-traitante est 1) libre d’organiser son travail, d’utiliser ses propres méthodes et moyens et 2) qu’elle n’est pas soumise aux instructions de l’entreprise adjudicataire concernant l’exécution de ses tâches.
Provision spécifique à titre de caution : Il est également vivement recommandé de prévoir dans le contrat une clause de rémunération spécifique pour le cas où la qualification de la relation retenue en matière d’assurances sociales ne correspondrait finalement pas à celle retenue dans le contrat liant les parties.
Le service juridique de la FVE reste à la disposition de ses membres pour répondre à toute question relative à cette matière technique et peut, sur demande, fournir des exemples de clauses à intégrer au contrat afin de préserver au mieux leurs intérêts.
Mes affaires
Contrat d’entreprise
Contrat d’architecte et d’ingénieur – Imputation de plusieurs dettes – Interprétation du contrat Moyens de preuve obtenus illicitement
Art. 18, 86 120ss CO et 152 CPC
Saisi d’un recours portant sur l’interprétation d’un contrat d’architecte, le Tribunal fédéral a l’occasion de rappeler certains principes et de fixer les contours de quelques notions.
Interprétation d’un contrat (art. 18 CO)
En l’espèce, le TF considère qu’il a été retenu sans arbitraire que les parties n’avaient pas conclu d’accord sur le paiement d’acomptes pour le montant dû au titre de la participation aux bénéfices. Le comportement ultérieur des parties ne doit pas être pris en considération dans l’interprétation objective d’un accord : il en est ainsi de l’établissement de factures pour des montants partiels, lesquels ne pouvaient pas, de bonne foi, être compris comme des acomptes. Une modification du contrat aurait par ailleurs dû être faite par écrit et rien n’indique que cette réserve de forme ait été levée tacitement.
Imputation en présence de plusieurs dettes (art. 86 CO)
Il n’est pas arbitraire, en l’espèce, de considérer que le paiement du montant exact d’une facture constitue une déclaration d’imputation.
Moyens de preuve obtenus illicitement (art. 152 al. 2 CPC)
Cette disposition n’a aucune influence sur les obligations procédurales des parties d’alléguer ou de contester les faits pertinents. Ainsi, elle n’a pas non plus pour conséquence qu’une allégation factuelle fondée sur un moyen de preuve illicite ne puisse pas être prise en considération. Au contraire, cette disposition a simplement pour effet que la preuve offerte ne peut, le cas échéant, être utilisée pour étayer ou prouver les allégations avancées dans l’exposé des faits.
Compensation
La déclaration de compensation ou les circonstances doivent permettre de déterminer quelle est la créance principale à éteindre et quelle est la créance compensatoire. En cas d’ambiguïté à cet égard, la déclaration de compensation est incomplète et donc sans effet (TF 4A_476/2024 du 3 mars 2025).
Mes collaborateurs
Droit du travail
Incapacité de travail – Salaire en cas de maladie – Alcoolisme
Art. 324a CO
Dans cette affaire, le Tribunal fédéral est saisi d’un dossier portant sur un litige en matière d’incapacité de travail dans un dossier particulier où le travailleur souffrait d’alcoolisme, et pose la question de savoir si cette addiction, diagnostiquée comme une maladie, appelle le paiement du salaire par l’employeur.
Le droit au maintien du salaire selon l’art. 324a al. 1 CO présuppose que le travailleur soit empêché de travailler sans faute de sa part pour des raisons qui lui sont imputables, telles que maladie, accident, accomplissement d’obligations légales ou exercice d’une fonction publique. La liste des raisons n’est pas exhaustive. Un empêchement de travailler au sens de la disposition mentionnée peut également résulter de circonstances extérieures, par exemple un placement à des fins d’assistance ou une détention préventive ordonnée, pour autant qu’aucune faute ne puisse être reprochée au travailleur.
Contrairement au droit des assurances sociales, le droit du travail ne se fonde pas, pour évaluer la capacité de travail, sur l’aptitude à accomplir un travail raisonnable dans la profession exercée jusqu’alors. Dans le champ d’application de l’art. 324a CO, c’est avant tout le contenu de l’accord contractuel entre l’employé et l’employeur qui est déterminant.
Dans le cas d’espèce, sans l’alcoolisme avancé du travailleur, l’accident de la circulation qu’il a provoqué, suivi du placement à des fins d’assistance et du traitement hospitalier du salarié, ne se serait pas produit. Le retrait du permis de conduire n’a rien changé à l’empêchement de travailler déjà existant en raison de la maladie et du traitement médical stationnaire. L’accident de la circulation subi, le placement à des fins d’assistance et le retrait du permis de conduire doivent tous être considérés comme différentes manifestations d’une seule et même cause, à savoir l’alcoolisme grave. La question de savoir si un empêchement de travailler dû à une dépendance à l’alcool ou à la drogue doit être considéré comme non fautif doit être évaluée en fonction des particularités de chaque cas. Sur le fondement de l’art. 324a CO, l’employeur doit le salaire au travailleur malade en raison de son alcoolisme, bien que celui-ci ait préalablement causé un accident de la route à cause de cette addiction, qui lui valut un retrait du permis de conduire, dès lors que sa dépendance à l’alcool fut correctement qualifiée de maladie (TF 4A_221/2025 du 11 septembre 2025)
Protection de la personnalité – Mobbing
Art. 328 CO
Dans cette affaire, le Tribunal administratif fédéral se penche sur un recours portant sur l’atteinte portée à la personnalité d’un travailleur employé par les CFF, sous la forme d’un mobbing subi de la part de son supérieur hiérarchique.
En premier lieu le TAF observe que, l’employé ayant subi des atteintes illicites à sa personnalité du fait du comportement de son supérieur hiérarchique et au vu de l’insuffisance des mesures de prévention, les CFF avaient commis un comportement illicite. Le lien de causalité entre le dommage et le comportement illicite était présent puisqu’il n’existait aucun indice solide selon lequel l’employé eût été en incapacité de travail s’il n’avait pas été soumis au comportement attentatoire à sa personnalité de la part de son supérieur direct et si son employeur avait mis en place à temps des mesures à l’égard de ce supérieur dont le comportement problématique lui était connu et ne pouvait être accepté.
S’agissant du dommage, le TAF a retenu que, par son comportement, l’employé avait contribué dans une très large mesure au dommage allégué, alors qu’il était tout à fait raisonnable d’exiger de lui qu’il prenne les précautions susceptibles de l’écarter ou de le réduire, de sorte qu’il n’avait droit à aucune indemnité pour dommages et intérêts. Le TAF a relevé également que, même si une atteinte d’une certaine gravité (en lien de causalité avec le comportement illicite de l’employeur) pouvait être reconnue, la souffrance ressentie pouvait être compensée par la reconnaissance de l’atteinte illicite à la personnalité et par le versement de quatre mois de salaire supplémentaires à ce qui est prévu par la CCT CFF : le recourant ne pouvait dès lors prétendre à une autre indemnité au titre de réparation du tort moral (TF 1C_193/2025 du 13 août 2025).
Droit des assurances
Assurance-invalidité – Moyens auxiliaires – Principe de la territorialité – Exportation à l’étranger
Art. 8 al.3 3, 9 al. 1 et 21 LAI, 23bis al. 1 à 3 RAI et 14 LPGA
Un ressortissant portugais, actif en Suisse depuis l’âge de 18 ans, a été victime d’un accident de travail à l’âge de 40 ans. Quelques mois avant son accident, il avait acquis une maison en France et déplacé son domicile dans cet Etat. En plus d’une rente et de mesures de réadaptation, l’assuré a demandé à l’office AI des moyens auxiliaires sous forme de prise en charge des coûts des travaux d’adaptation de son domicile à son handicap. Cette prestation lui a été refusée par l’OAIE compte tenu de son domicile à l’étranger. Après s’être fait désavouer par le Tribunal administratif fédéral (TAF), l’OAIE a porté l’affaire au Tribunal fédéral (TF).
Le TF rappelle que selon les règles de coordination européennes, les personnes actives professionnellement sont affiliées dans l’Etat de leur emploi, alors que les personnes non actives sont affiliées dans leur Etat de résidence. Toutefois, en cas de perte d’emploi en Suisse liée à une maladie ou à un accident, la personne assurée reste considérée comme couverte par l’assurance invalidité pour l’octroi de mesures de réadaptation jusqu’au paiement d’une rente d’invalidité ainsi que durant la période pendant laquelle elle bénéficie de ces mesures, à condition qu’elle n’ait pas repris une nouvelle activité hors de Suisse. La couverture d’assurance prend également fin si la personne perçoit des prestations du chômage dans son Etat de résidence.