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Le rappel du mois

Marchés publics – rappels des principes cardinaux
Choix de jurisprudences cantonales

Tout entrepreneur est confronté un jour ou l’autre aux marchés publics. Soumissionner implique souvent un travail important, qui peut ne pas être couronné de succès si l’offre soumise n’est pas retenue malgré le travail consenti pour dresser l’offre.

En pratique, il peut arriver qu’un soumissionnaire soit injustement évincé, et qu’il soit tenté d’attaquer cette décision par un recours, auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal dans le canton de Vaud. Ce n’est qu’ensuite, contre le jugement cantonal rendu, que le soumissionnaire a encore la possibilité de saisir le Tribunal fédéral. Avant cela, une pratique judiciaire se dessine sur le plan cantonal.

Dans la présente chronique, nous proposons un choix de 3 décisions cantonales rendues en matière de marchés publics, qui remettent en perspective par la pratique judiciaire 3 principes cardinaux, à savoir celui de la transparence, celui de l’intangibilité des offres et enfin celui de l’égalité de traitement entre soumissionnaires.

Nous vous souhaitons une bonne lecture.

Mes projets

Droit de la propriété

Notion de trésor et récompense de l’inventeur

Art. 723 CC
Une personne avait ramassé, sur le fonds privé d’un tiers où il était autorisé à accéder, un nombre considérable de pièces d’or affleurant à la surface du sol ensuite de travaux, ou cachées dans ce sol, pour environ 1.3 millions de francs et a réclamé une récompense après restitution de ces pièces aux propriétaires du sol, soit les petits-enfants de celui qui les y avait enfouies dans son terrain, en se prévalant du statut d’inventeur au sens du droit, c’est-à-dire celui qui découvre une chose à un endroit où il est autorisé à accéder.

Le Tribunal cantonal vaudois a nié le droit à la récompense, en rappelant que seul est inventeur au sens des droits réels celui qui prend possession des valeurs trouvées dans un endroit où il est autorisé accéder. Il a précisé ici que les pièces d’or ne représentaient pas un trésor, malgré leur valeur, puisque l’on pouvait retrouver leur propriétaire d’origine et ses ayants droit actuels (JDT 2022 III 127).


Marchés publics

Principe de transparence – avantage concurrentiel

Dans cette affaire genevoise, un soumissionnaire évincé d’un appel d’offres portant sur la sécurisation de toitures sur le site des SIG, fait recours. Il fait valoir qu’il soupçonne l’adjudicataire d’avoir réalisé les plans du dossier d’appel d’offres et d’être ainsi préimpliqué.

L’autorité judiciaire genevoise retient que l’adjudicateur qui manque à indiquer dans les documents d’appel d’offres qu’une prestation a été effectuée en lien avec le marché à adjuger viole les principes de la transparence et d’égalité de traitement. Le fait que le soumissionnaire qui a réalisé cette prestation n’en retire aucun avantage concurrentiel n’y change rien. Comme le soupçon du recourant se confirme et est établi, son recours est admis et la décision par laquelle il était évincé annulée (GE ATA/265/2022 du 13 mars 2022).

Principe de l’intangibilité des offres– documents nous fournis

Cette affaire neuchâteloise porte sur un marché public afférant à l’assainissement des toitures d’un bâtiment de l’Université avec intégration de panneaux solaires photovoltaïques. L’autorité judiciaire neuchâteloise retient que l’absence dans le dossier d’une mention de documents à déposer ne permet pas au soumissionnaire de se soustraire à ce qui lui est demandé

En l’espèce, le dossier de soumission demandait de fournir une proposition de phases de travaux ; il s’agissait d’un critère d’adjudication qui devait permettre à l’autorité de vérifier la plausibilité du planning du soumissionnaire. Le soumissionnaire n’a pas fourni une telle proposition. Il ne peut compléter son offre par la suite sous peine de violer le principe de l’intangibilité des offres (NE CDP.2022.165 du 15 août 2022).

Principe de l’égalité de traitement – offres différentes

Cette affaire genevoise porte sur une procédure sur invitation pour la transformation et l’agrandissement du groupe scolaire d’une commune. Un soumissionnaire évincé recourt au motif que le cahier des charges n’indiquait nulle part les critères d’aptitude et/ou d’adjudication, ni leur pondération.

L’autorité judiciaire genevoise retient que les soumissionnaires doivent proposer des prestations qui correspondent à celles demandées par le pouvoir adjudicateur : leur offre doit être complète pour être prise en compte.

En l’espèce, il ressort des documents d’appel d’offres qu’un relevé topographique de l’ensemble de la parcelle était nécessaire. L’adjudicateur ne pouvait donc pas retenir l’offre du soumissionnaire qui se contentait d’effectuer le relevé sur une partie de la parcelle : il s’agit d’une offre différente, et la retenir malgré tout revenait à violer le principe de l’égalité de traitement. Le recours du soumissionnaire évincé sur cette base est admis (GE ATA/593/2022 du 7 juin 2022).

Mes affaires

Contrat de bail

Résiliation du bail d’une locataire âgée manquant d’égards envers le voisinage

Une locataire âgée, dont les voisins se plaignaient régulièrement qu’elle incommodait le voisinage par des propos racistes, des sauts d’eau lancés du 8ème étage et des attaques physiques contre des enfants, voit son bail résilié et conteste cette résiliation jusqu’au TF.

Le TF rappelle que chaque partie est en principe libre de résilier un bail de durées indéterminée pour la prochaine échéance convenue, en respectant le délai de congé prévu ; la résiliation ordinaire ne suppose pas l’existence d’un motif de résiliation particulier. En matière de baux portant sur une habitation ou un logement commercial, pour statuer sur la validité d’un congé, il ne faut pas procéder à la pesée entre l’intérêt du bailleur à récupérer son bien et celui du locataire à rester dans les locaux ; cette pesée des intérêts n’intervient que dans le cadre de l’examen d’une prolongation de bail.

En l’espèce, le TF retient que c’est à bon droit que la cour cantonale a nié l’existence d’une disproportion grossière des intérêts en présence, tel que plaidé par la locataire éconduite, ou le caractère inutilement rigoureux du congé, vu les circonstances reprochées à la locataire, qui disposait certes de moyens financiers limités, mais dont le manque persistant d’égard pour ses voisins était avéré, à plus forte raison parce que les circonstances personnelles de a locataire avaient déjà été prises en compte pour octroyer une prolongation de bail de 4 ans (TF 4A_236/2022 du 24 juin 2022).


Propriété intellectuelle

Risque de confusion pouvant résulter de l’emploi d’un nom de domaine

Le droit au nom permet d’interdire l’usage d’un nom de domaine internet qui prête à confusion, indépendamment du contenu des pages auxquelles il renvoie. Contrairement au droit des marques, ici le risque de confusion ne doit pas être apprécié du point de vue de la clientèle seulement : le droit au nom doit aussi permettre d’éviter les confusions auxquelles pourrait être confronté le public en général, les demandeurs d’emploi, les autorités et les services officiels.

La force distinctive des abréviations et des combinaisons de lettres est variable. Lorsqu’alternent les consonnes et les voyelles, de telle sorte qu’il peut se prononcer, un acronyme peut avoir un caractère distinctif relativement fort. En revanche une séquence de lettre qui peut seulement s’épeler restera moins longtemps en mémoire, et sa force distinctive sera plutôt faible, du moins tant qu’elle n’a pas fait l’objet d’un long usage intensif.

Sur cette base, le TF a considéré qu’il n’y avait pas de risque de confusion entre RSP Rail Service Partner SA et rspa.ch (TF 4A_375/2021).

Mes collaborateurs

Contrat de travail

Heures supplémentaires – horaire fondé sur la confiance – Actes concluants

Art. 321 CO
Statuant sur recours dans cette affaire, le TF confirme que c’est sans arbitraire que la cour cantonale a retenu qu’à défaut de preuves, et même si la travailleuse pouvait effectivement travailler le soir, notamment lors des foires et pour aider des collègues, rien ne permettait d’affirmer qu’elle avait informé son supérieur hiérarchique, ou qu’elle effectuait des heures supplémentaires qui ne pouvaient pas être compensées en nature conformément aux instructions données.

L’horaire étant fondé sur la confiance, la travailleuse aurait justement dû spécifiquement annoncer l’existence d’heures supplémentaires (TF 4A_348/2022 du 11 janvier 2023).

Fin des rapports de travail – offre de services

Art. 18, 108 et 324 CO
L’offre de services à l’employeuse (condition nécessaire au paiement du salaire lorsque le délai de congé n’a pas été respecté ou a été prolongé en vertu de l’art. 336c et que le motif de protection a cessé) est une déclaration de volonté soumise à réception, dont l’interprétation s’opère selon le principe de confiance. Elle doit être faite par le salarié personnellement, à temps et de manière adéquate, sans être soumise à une exigence de forme. Sur le fondement de la bonne foi, l’employeuse doit reconnaître une offre de services implicite si le salarié se rend à son travail. S’il n’a plus accès au lieu de travail, le salarié peut indiquer sa disponibilité oralement ou par écrit.

Le salarié n’a pas à offrir ses services lorsqu’il est reconnaissable que l’employeuse ne les acceptera pas, par exemple si elle a dispensé le salarié de l’obligation de travailler ou a repourvu l’emploi, ou encore si elle est en demeure de payer le salaire. L’employeuse ne peut se prévaloir d’une absence d’offre de services lorsqu’elle a volontairement ou fautivement appliqué un délai de congé contraire au droit et que le salarié ignorait cette illicéité (TF 4A_356/2022 du 20 décembre 2022).

Congé abusif – motif réel – travailleur âgé – indemnité à raison des longs rapports de travail

Art. 11, 18, 336 et 329c CO
Pour déterminer si l’on est en présence d’un congé abusif, il faut établir au préalable le motif réel du congé, opération qui relève de l’appréciation des preuves. Du moment que le motif réel du licenciement a été établi, la partie qui conteste l’appréciation des juges inférieurs doit en démontrer l’arbitraire.

En l’espèce, la Cour cantonale a sanctionné le manque d’égards de l’Etat employeur vis-à-vis d’une employée qui lui avait consacré l’essentiel, pour ne pas dire la totalité de sa vie active (âgée de 62 ans et au bénéfice d’une ancienneté de 39 ans). On ne discerne pas, dans le contexte en cause, ce qui eût pu dispenser l’employeur d’organiser un entretien préalable et de rechercher d’autres solutions.

L’indemnité légale « à raison de longs rapports de travail » est plafonnée à huit mois de salaire (art. 339c al. 2 CO). Les parties sont libres de fixer une indemnité plus élevée « par accord écrit ». Cette clause doit être signée par la partie qui souscrit une telle obligation, à savoir l’employeur (TF 4A_307/2022 du 18 janvier 2023).


Assurance sociales et prévoyance professionnelle

Obligation de cotiser en matière d’AVS – subvention d’une structure d’accueil pour enfants

Art. 16 et 17 LIFD et 327a al. 1 CO
La subvention de l’employeur pour une structure d’accueil extra-familial pour enfants interne à l’entreprise ou qui lui est affiliée fait partie du salaire déterminant. Il n’y pas d’exception dans le sens qu’il s’agirait d’une allocation familiale exonérée des cotisations (TF 9C 466/2021 du 17 octobre 2022).


Assurance invalidité

Incapacité de gain – rente d’invalidité – obligation de diminuer le dommage

Art. 7, 8 et 21 LPGA, art. 8, 12, 22 et 28 LAI
Conformément à l’art. 28 al. 1 let c LAI, le droit à une rente d’invalidité ne peut prendre naissance que si, à l’issue de la période d’attente d’une année, une incapacité de gain, respectivement une invalidité, donnant droit à une rente survient.

Dans le cas d’espèce, le TF a confirmé que la personne concernée n’était pas invalide puisque sa capacité de travail pouvait être améliorée par des mesures médicales : elle pouvait en effet, à dire de médecins, ce de sa propre initiative, renoncer à la consommation d’alcool et de drogue et prendre des médicaments nécessaires à traiter son trouble de l’attention et son hyperactivité.

Les démarches nécessaires à la réadaptation par soi-même répondent à l’obligation générale de de diminuer le dommage : la personne concernée doit donc les conduire avant de prétendre à une rente AI, et également avant de prétendre à des mesures de réadaptation (TF 8C 366/2022 du 13 octobre 2022).

Rente d’invalidité – revenu statistique – abattement – âge

Art. 16, 18 LAA, 28 OLAA,
De manière générale, une réduction au titre du handicap (abattement pour limitations fonctionnelles) dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées et n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré.

L’âge d’un assuré ne constitue pas en soi un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement.

Selon le TF, pour atteindre son objectif, l’art. 28 al. 4 OLAA commande qu’on calcule le taux d’invalidité sur la base des revenus (sans et avec invalidité) hypothétiques que pourrait obtenir un assuré d’âge moyen, et que – contrairement à l’art. 16 LPGA – on fasse ainsi abstraction de l’incapacité de travail due à l’âge avancé de l’assuré. Or, dès lors que l’on doit s’appuyer sur les valeurs salariales d’un assuré d’âge moyen, une influence pénalisante de l’âge avancé sur le salaire ne peut par définition pas entrer en ligne de compte (TF 8C 716/2021 du 12 octobre 2022).


Allocations pour perte de gain

Assurance perte de gain en cas de de service militaire activité lucrative hypothétique

Art. 1 et 2 RAPG
Un jeune homme accomplit un service long durant lequel il perçoit une allocation pour perte de gain de CHF 62.- par jour pendant l’instruction de base en tant que recrue (du 15 janvier au 18 mai 2018) et une indemnité journalière de CHF 91.- pendant les services d’avancement (du 19 mai 2018 au 10 novembre 2019), ce qui correspond au taux minimal pour les cadres en service long. Il demande à la Caisse de compensation du canton de St-Gall que l’indemnité soit calculée sur la base d’un revenu annuel de CHF 60’091.-, conforme aux usages locaux et professionnels, et qu’elle lui soit versée ultérieurement. La Caisse de compensation et le Tribunal des assurances du canton de St-Gall rejettent la demande.

Statuant sur le recours dont il est saisi, le TF retient que le recourant n’a pas eu la possibilité, après avoir terminé sa formation, de conclure un contrat de travail de longue durée pour les quelques mois qui le séparaient de son service militaire de deux ans. Le fait de combler un semestre de transition par un stage à l’étranger ne constitue pas un indice qu’il n’aurait pas cherché et accepté un emploi fixe. En revanche, les informations relatives à la formation et au parcours professionnel donnent des indices quant à l’activité lucrative hypothétique. Aucun élément ne permet de conclure à des parcours alternatifs, comme le fait que, sans service militaire, il aurait commencé des études à plein temps ou pris un congé sabbatique prolongé. Le recourant aurait donc dû être assimilé à une personne exerçant une activité lucrative au sens de l’art. 1 al. 2 let. b RAPG et son indemnité calculée sur cette base (TF 9C 37/2022 du 11 août 2022).

Mes litiges

Droit des poursuites et faillites

Consultation du registre des poursuites

Art. 8a al. 3 let. d LP
Si le débiteur s’acquitte de la créance après que celle-ci a fait l’objet d’une poursuite, il ne peut pas empêcher la communication de la poursuite à des tiers par une demande de non-divulgation de la poursuite fondée sur l’article 8a al. 3 LP (TF 5A_701/2020 du 23 juillet 2021).

Le débiteur ne peut pas non plus former la requête de l’article 8a al. 3 LP en non-communication de la poursuite aux tiers après l’expiration d’un délai d’un an de validité du commandement de payer prévu par l’article 82 al. 2 LP (TF 5A_927/2020 du 23 août 2021).


Droit fiscal

Règlement des remboursements de frais par les entreprises

Art. 16 et 17 LIFD et 327a al. 1 CO
Les frais remboursés par l’employeur, sur une base forfaitaire, en application d’un règlement des remboursements des frais agréé par l’autorité fiscale du canton du siège doivent être acceptés san réserve par l’autorité de taxation, y compris d’un autre canton. Cette dernière ne peut donc pas vérifier l’adéquation entre l’allocation forfaitaire perçue et les frais effectivement engagés par le travailleur, mais uniquement si le montant remboursé correspond à celui de l’allocation prévue par le règlement des frais concerné (TF 2C 804/2021 du 14 octobre 2022).


Droit pénal

Infractions contre l’honneur – propos tenus à l’attention d’un avocat

Art 173ss CP
Le sens de propos tenus par le client d’un avocat à l’attention de ce dernier ne doit pas être apprécié de la même manière que celui de déclarations exprimées à l’attention de n’importe quel autre tiers.

Afin de ne pas compromettre l’exercice d’une communication libre et spontanée entre avocat et client, il faut admettre une atteinte à l’honneur avec retenue Tel peut être le cas lorsque les propos tenus n’ont pas de lien avec l’affaire dans laquelle intervient l’avocat et que ceux-ci ne tendent en définitive qu’à exposer la personne visée au mépris (TF 6B_1287/2021 du 31 août 2022).


Circulation routière

Durée d’une interdiction de conduire prononcée à l’étranger comme limite supérieure pour la durée du retrait de permis suisse

Art. 16 LCR
Lorsque la personne concernée ne figure pas dans le système d’information relatif à l’admission à la circulation (SIAC), la durée de l’interdiction de conduire prononcée à l’étranger constitue la limite supérieure du retrait du permis de conduire ordonné en Suisse en raison de la même infraction aux règles de la circulation routière.

Ce privilège ne doit profiter qu’aux délinquants primaires proprement dits qui n’ont aucun antécédent, pertinent ou non au regard du système des cascades. Pour les récidivistes, le système des cascades s’applique sans égard à la limite supérieure lorsque la nouvelle infraction commise à l’étranger er est intervenue dans les délais légaux correspondants ; si tel n’est pas le cas, un retrait doit être prononcé en cas de récidive en faisant abstraction du privilège légal et du système des cascades (TF 1C 653/2021 du 24 août 2022).