
Le rappel du mois
Marchés publics – rappel des principes
Jurisprudence fédérale
Dans un arrêt du 18 janvier 2023, le Tribunal fédéral a statué sur un recours qui soulevait un ensemble de questions de principe dans le domaine des marchés publics. A cette occasion, notre Haute Cour a rappelé plusieurs principes qui doivent guider la pratique de l’autorité adjudicatrice lorsqu’elle prend position sur les offres soumises et en interprète le contenu. Ces observations s’étendent notamment au droit d’être entendu, au sort à réserver à une offre anormalement basse, à l’interprétation des documents d’appel d’offres, à l’exclusion d’une offre et aux règles relatives à la formation des prix.
La lecture de la synthèse de cet arrêt est profitable à tout acteur impliqué dans les marchés publics, en guise de rappel de principes qu’il doit garder à l’esprit. C’est en effet notamment à la condition que ces principes soient respectés qu’une offre incomplète peut être valablement écartée, respectivement que le soumissionnaire éconduit peut espérer recourir avec succès contre une telle exclusion.
Nous vous souhaitons une bonne lecture.
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Mes projets
Droit de la propriété
Détermination du contenu d’une servitude
Art. 730 et 738 CC
Une servitude de restriction de bâtir prévoit que seule une villa indépendante pour une ou deux familles (« eine freistehende Ein- oder Zweifamilienvilla mit Garage ») peut être érigée sur la parcelle litigieuse. Le terme « freistehend » signifie, selon l’usage courant, qu’une maison n’est pas construite avec une autre maison ou reliée à une autre maison. L’on ne peut toutefois s’arrêter à une interprétation littérale ; il s’agit de prendre également en compte le but de la servitude, en particulier les intérêts qui, considérés objectivement, paraissent importants en raison des besoins du fonds dominant.
Le Tribunal fédéral retient dans le cas d’espèce que la construction projetée, qui prévoit un seul bâtiment de deux logements, ayant les caractéristiques d’une villa, est conforme au texte de la servitude. Il précise notamment que le risque de modification non uniforme qui existe pour des maisons mitoyennes existe également pour des maisons comprenant deux logements, de sorte que les propriétaires du fonds dominant ne peuvent rien tirer de cet argument. Il en est de même du fait que le jardin soit strictement ou non réparti entre les logements, dès lors que l’aménagement du jardin peut en tout état de cause être réalisé selon les goûts de chaque habitant de l’immeuble. Seul est déterminant le nombre de parties qui habitent l’immeuble. Or en prévoyant deux logements, les propriétaires du fonds grevé respectent la servitude également à cet égard (TF 5A_451/2022 du 28 décembre 2022).
Marchés publics
Droit d’être entendu – offre anormalement basse – interprétation des documents d’appel d’offres – exclusion d’une offre – règles relatives à la formation des prix
Art. 29 al. 2 Cst. et AIMP
Droit d’être entendu (accès au dossier) – Le droit de consulter le dossier qui découle du droit d’être entendu n’est pas absolu et peut être limité en raison d’intérêts publics ou privés prépondérants. Une telle restriction s’applique notamment aux marchés publics. Les documents remis doivent en effet être traités de manière confidentielle dans la mesure où des secrets d’affaires ou de fabrication sont concernés, lesquels ne peuvent être utilisés, transmis ou communiqués à des tiers sans l’accord du soumissionnaire ou sans base légale. Selon la jurisprudence, il n’existe pas de droit de regard sur les offres concurrentes, mais uniquement sur les renseignements de référence sur lesquels l’adjudicateur souhaite se fonder, ce qui vaut également en procédure de recours.
Offre anormalement basse et droit d’être entendu – Selon une jurisprudence bien établie, les offres ne couvrant pas les coûts ou les sous-enchères sont autorisées. Selon le droit applicable au cas d’espèce, l’adjudicateur « peut », en cas d’offres anormalement basses, se renseigner auprès du soumissionnaire afin de s’assurer qu’il respecte les conditions de participation et remplit les conditions du marché. Selon la jurisprudence, ce droit se transforme en obligation lorsque l’adjudicateur a des doutes sur la capacité du soumissionnaire à fournir la prestation ou sur le sérieux de l’offre et qu’il envisage d’exclure ce soumissionnaire. Dans ces cas, le soumissionnaire doit être entendu avant une éventuelle exclusion, sinon il y a violation du droit d’être entendu. Si les renseignements révèlent effectivement des lacunes ou que les doutes ne peuvent pas être levés, l’offre est donc exclue ou moins bien notée ; elle ne l’est pas en raison du prix trop bas
Interprétation des documents d’appel d’offres – En l’espèce, l’interprétation objective des documents d’appel d’offres permet d’arriver à la conclusion que chaque sous-poste devait indiquer le prix par unité de mesure ou par pièce et donc un prix unitaire. Ce n’est qu’ainsi que le prix total par sous-position pouvait être calculé, lequel résultait de la multiplication de la quantité et du prix unitaire.
Exclusion d’une offre – Conformément à la jurisprudence, l’adjudicateur dispose d’un certain pouvoir d’appréciation en ce qui concerne l’exclusion des soumissionnaires. Le motif d’exclusion doit toutefois présenter une certaine gravité, faute de quoi l’autorité adjudicatrice agit de manière disproportionnée et exagérément formaliste. Les écarts par rapport aux directives de l’appel d’offres et le non-respect des prescriptions de forme du droit des marchés publics peuvent conduire à l’exclusion d’une offre. Si de tels défauts ont un caractère secondaire et qu’ils ne portent pas sérieusement atteinte au but poursuivi par les prescriptions de forme en question, ils ne doivent toutefois pas conduire à l’exclusion d’un soumissionnaire. L’instance de recours ne peut qu’examiner si l’autorité adjudicatrice a dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation au sens précité, c’est-à-dire si elle a agi de manière arbitraire. En revanche, elle ne doit pas faire preuve de la même retenue dans l’examen des règles de procédure en matière de marchés publics.
Règles relatives à la formation des prix – Les règles relatives à la formation des prix, en particulier la condition d’indiquer des prix unitaires, constituent des règles formelles. Leur but est de donner un aperçu pertinent et complet du rapport qualité-prix des offres et de permettre leur comparaison. Le non-respect de telles prescriptions entraîne l’exclusion de la procédure d’adjudication. Il y a notamment non-respect de telles prescriptions lorsque le soumissionnaire utilise des prix tellement bas, c’est-à-dire non réels, pour des postes essentiels, de sorte que l’offre n’est pas comparable avec les autres offres. L’obligation d’indiquer les prix unitaires doit justement permettre une comparaison équitable entre les offres. Par conséquent, on peut et on doit exiger que tous les postes individuels importants soient entièrement remplis avec des prix unitaires. Dans le cas contraire, le rapport qualité-prix de l’offre ne peut pas être évalué. En règle générale, une telle offre doit être exclue parce qu’elle n’est pas comparable en raison de défauts de contenu, mais aussi parce qu’elle est incomplète.
En l’espèce, l’offre de la soumissionnaire qui a utilisé des prix unitaires d’un centime au lieu de prix unitaires réels, dans quatorze positions importantes pour l’ouvrage à réaliser, doit être exclue. En effet, une évaluation pertinente de cette offre, en particulier du rapport qualité-prix, est ainsi rendue impossible. Une telle offre est en outre incomplète. Le Tribunal fédéral ajoute encore que l’adjudicataire est tenu de respecter l’égalité de traitement, ce qui ne serait pas le cas si une offre présentant de graves défauts était prise en considération. Le remplacement ultérieur des prix de substitution de l’offre litigieuse par des prix réels n’était pas non plus possible en raison du principe de l’immuabilité des offres et de l’interdiction des tours d’offres (TF 4A_355/2022 du 18 janvier 2023).
Mes affaires
Contrat de vente
Demeure qualifiée
Art. 107 et 108 CO
Un contrat de vente prévoyait un droit d’habitation en faveur de l’une des venderesses ainsi que la réalisation de travaux de rénovation de l’immeuble par les acheteurs, à la charge de ces derniers. Le contrat de vente contenait un délai pour le dépôt de la demande de permis de construire et un autre pour le début des travaux. Les acheteurs ont déposé une demande de permis conforme aux travaux prévus par le contrat et dans le délai prévu par celui-ci. Le permis a toutefois été refusé, à la suite de quoi les parties ont échangé plusieurs missives tendant à une résolution amiable du litige ; le second délai pour le démarrage des travaux a été dépassé pendant cette période. Au cours de ces échanges, les venderesses ont indiqué que les travaux du rez-de-chaussée n’étaient pas urgents. Les venderesses ont résolu le contrat, sans toutefois avoir mis au préalable en demeure les acheteurs de s’exécuter.
Le Tribunal fédéral retient que la résolution du contrat n’était pas possible faute de mise en demeure au sens de l’art. 107 CO, respectivement de l’existence d’une situation prévue par l’art. 108 CO, rendant une telle mise en demeure superflue. L’attitude des acheteurs démontrait qu’ils avaient bien eu l’intention d’effectuer les travaux (art. 108 ch. 1 CO) et le second délai prévu pour le démarrage des travaux ne constituait pas un terme fixe (art. 108 ch. 3 CO), dès lors que les venderesses avaient elles-mêmes déclaré les travaux concernés comme non urgents (TF 4A_355/2022 du 18 janvier 2023).
Contrat d’entreprise
Clause pénale
Art. 160ss CO
La peine conventionnelle ou clause pénale au sens de l’art. 160 CO est la prestation que le débiteur promet au créancier en cas d’inexécution ou d’exécution imparfaite d’une obligation déterminée (obligation principale). Une telle promesse vise à protéger l’intérêt du créancier à l’exécution du contrat, en constituant une incitation supplémentaire pour le débiteur à se conformer au contrat. Elle améliore également la position juridique du créancier, qui est dispensé de prouver son dommage. Selon l’art. 160 al. 2 CO, lorsque la peine a été stipulée en vue de l’inexécution du contrat au temps ou dans le lieu convenu, le créancier peut demander à la fois que le contrat soit exécuté et la peine acquittée, s’il ne renonce expressément à ce droit ou s’il n’accepte l’exécution sans réserve.
En l’espèce, l’ouvrage a été livré le 24 avril 2017 et les retouches demandées par le maître terminées en octobre 2017. Le maître qui a signé le procès-verbal d’acceptation de l’ouvrage sans émettre de réserve a accepté tacitement l’exécution tardive et a ainsi renoncé à se prévaloir de la clause pénale au sens de l’art. 160 al. 2 CO. Par conséquent, il ne peut plus se prévaloir de la peine conventionnelle dans une demande reconventionnelle déposée dans le cadre d’une procédure en paiement, initiée par l’entrepreneur par demande du 22 mars 2019 et y invoquer la compensation (TF 4A_422/2022 du 18 janvier 2023).
Mes collaborateurs
Contrat de travail
Indemnité pour licenciement abusif – exonération d’impôt
Art. 336a CO
Une employée ouvre action contre son ancien employeur au Tribunal des prud’hommes en estimant que son licenciement était abusif. A l’audience de conciliation, les parties concluent un accord portant sur le versement à l’employée d’une indemnité de CHF 25’000. Saisi d’un recours de l’Administration cantonale des impôts, le Tribunal fédéral doit déterminer si l’indemnité pour licenciement abusif (art. 336a CO) est un versement à titre de réparation du tort moral exonéré de l’impôt selon l’art. 24 let. g LIFD.
En l’occurrence, l’indemnité résulte d’un accord conclu à l’audience de conciliation. Cette indemnité n’a pas fait l’objet d’une décision judiciaire de l’autorité civile. La procédure a été engagée par l’employée pour licenciement abusif et l’ancien employeur a versé l’indemnité sans réserve. On peut dès lors admettre que la transaction comporte une reconnaissance du caractère abusif du licenciement (art. 336a CO).
Dans un second temps, le Tribunal fédéral observe que l’indemnité pour licenciement abusif a une finalité double, réparatrice et punitive. Elle vise principalement à compenser l’atteinte subie par l’employé découlant du caractère abusif de son licenciement, lequel implique une atteinte à sa personnalité. Le premier but de l’indemnité vise par ailleurs à réparer le tort moral subi. Le fait que l’indemnité vise également à punir l’employeur n’est pas susceptible d’occulter la fonction réparatrice de l’indemnité.
Par conséquent, l’indemnité pour licenciement abusif doit entièrement être qualifiée en tant que versement à titre de réparation du tort moral exonéré de l’impôt selon l’art. 24 let. g LIFD (TF 2C_3546/2021 du 31 octobre 2022).
Assurance sociales et prévoyance professionnelle
Déduction des cotisations au 3e pilier – attribution dans le temps
Art. 82 al. 1 LPP et 7 OPP 3
Le Tribunal fédéral a dû trancher la question de savoir jusqu’à quand les cotisations du pilier 3a devaient être versées auprès de l’institution de prévoyance pour pouvoir être déductibles de l’impôt sur le revenu au cours de la même année civile.
Cette question n’étant réglée expressément ni à l’art. 7 OPP3, ni à l’art. 82 al. 1 LPP, notre Haute Cour en a déduit, en s’appuyant sur les termes « exclusivement et irrévocablement » de l’art. 82 al. 1 LPP, que les cotisations devaient être créditées sur le compte de prévoyance personnel du contribuable, et non pas sur le compte bancaire général de l’institution de prévoyance, au 31 décembre de l’année en cours afin que ces cotisations soient exclusivement et irrévocablement affectées au but de prévoyance professionnelle.
En l’espèce, bien que le contribuable ait effectué l’ordre de virement le 29 décembre 2017, la comptabilisation des cotisations au pilier 3a sur le compte de prévoyance du contribuable n’a eu lieu que le 3 janvier 2018 en raison du week-end et des jours fériés. C’est donc à raison que l’institution de prévoyance a refusé de délivrer l’attestation pour l’année fiscale 2017 (TF 2C 259/2022 du 7 décembre 2022).
Mes litiges
Droit des poursuites et faillites
Mainlevée provisoire – poursuite en réalisation de gage – cédule hypothécaire
Art. 82 LP
Pour qu’il puisse valablement se prévaloir de la créance abstraite dans une poursuite en réalisation de gage immobilier, le créancier poursuivant doit être le détenteur de la cédule hypothécaire. Par ailleurs, le débiteur de cette cédule doit être inscrit sur le titre produit ou, à tout le moins, faut-il qu’il reconnaisse sa qualité de débiteur de la cédule ou que cette qualité résulte de l’acte de cession de propriété de la cédule qu’il a signé. Ainsi, si la cédule hypothécaire ne comporte pas l’indication du débiteur, le créancier ne pourra obtenir la mainlevée provisoire que s’il produit une autre reconnaissance de dette, soit, par exemple, une copie légalisée de l’acte constitutif conservé au registre foncier dans lequel la dette est reconnue ou la convention de sûretés contresignée dans laquelle le poursuivi se reconnaît débiteur de la cédule cédée à titre de sûretés.
En l’espèce, la cédule ne comporte pas l’indication du débiteur et partant, ne constitue pas un titre de mainlevée. La mainlevée provisoire ne peut être accordée à la poursuivante qui n’a pas fourni d’autre pièce dans laquelle la poursuivie se reconnaissait débiteur de la cédule cédée à titre de sûretés. En particulier, il n’est pas possible de présumer que le débiteur de la créance abstraite est le propriétaire de l’immeuble, puisque le gage peut être constitué en faveur d’une personne qui n’est pas (ou qui n’est plus) propriétaire de l’immeuble (TF 5A_551/2022 du 18 janvier 2023).
Droit pénal et circulation routière
Lésions corporelles graves par négligence – signalisation des chantiers routiers – causalité
Art 11, 12 al. 3 et 125 al. 2 CP, art. 4 LCR et OSR
Dans cette affaire, un chantier était signalé par les signaux de danger « chantier » avant la zone sur laquelle le revêtement avait été fraisé. Un cycliste s’y engage trop vite et connaît un accident. Or selon l’art. 4 al. 1 LCR, les obstacles à la circulation ne doivent pas être créés sans raison impérative ; et doivent être suffisamment signalés et éliminés le plus rapidement possible.
Saisi d’un recours, le Tribunal fédéral retient dans le cas d’espèce qu’il aurait été possible pour les cyclistes de s’engager sans danger à l’endroit fraisé, du moins à une vitesse adaptée, ce qui n’était manifestement pas le cas de la partie plaignante qui n’avait pas vu la signalisation et roulait à 57,3 km/h, malgré un périmètre de visibilité restreint et une courbe importante à l’endroit de l’accident.
Le Tribunal fédéral souligne que la partie plaignante a ainsi foncé sur le lieu de l’accident à près de 60 km/h, pratiquement sans freiner. Par conséquent, la responsabilité de la partie plaignante est considérable et aurait dans tous les cas pour conséquence d’interrompre le lien de causalité adéquate, laissant ouverte la question de savoir si la signalisation du chantier était suffisante pour nier une violation du devoir de diligence (TF 6B_1486/2021 du 18 janvier 2023).