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La décision du mois

On sous-estime parfois l’étendue de la responsabilité pénale de l’employeur !

Le tribunal fédéral examine dans cette affaire l’étendue de la diligence dont doit faire preuve l’employeur lorsqu’il est requis, par un de ses employés d’autoriser ou d’interdire une activité spécifique, même lorsque cette activité est conduite par une personne extérieure à l’entreprise, dans un domaine totalement dissocié du modèle économique de l’entreprise.

 

Il s’agit ici d’une boulangerie qui confie à une entreprise de peinture le soin de repeindre son conteneur à ordures métallique. Le peintre mandaté demande à un employé de la boulangerie de l’aider à ouvrir le couvercle de déchargement de la benne, qui pèse environ 220 kg. Lors de la manœuvre, la porte de déchargement du conteneur glisse des extrémités des fourches du transpalette et se referme, touchant le peintre à la tête, qui en décède sur le lieu de l’accident.

Le TF relève que lorsque l’employeur, dans le cadre de ses tâches contractuelles de responsable de la sécurité de l’entreprise, est sollicité pour autoriser une activité déterminée, il assume, en tant que responsable de la sécurité de l’entreprise, la responsabilité de ce projet en autorisant ou en n’interdisant pas une activité concrète – comme en l’occurrence l’ouverture manuelle et en partie mécanique de la trappe de déchargement du conteneur.

Le TF conclut qu’en faisant preuve de la diligence requise, l’employeur aurait été tenu d’interdire l’ouverture non conforme de la trappe de déchargement ou, du moins, de procéder personnellement à une évaluation des risques sur place. En se limitant à indiquer que la porte de déchargement devait être sécurisée lors de son ouverture, l’employeur n’a pas rempli ses obligations, et l’affaire doit être renvoyée à l’autorité cantonale pour l’examen des éléments constitutifs de l’homicide par négligence qu’elle n’avait pas encore examinés (TF 6B_47/2021 du 22 mars 2023).

NB : Cette affaire met en lumière l’étendue importante des responsabilités, même indirectes, qui pèsent sur l’employeur lorsqu’en qualité de responsable de la sécurité de l’entreprise, il autorise une activité qui présente un danger, sans prendre toutes les mesures nécessaires pour le contenir. La violation dans ce cadre de son obligation de diligence peut amener l’employeur à répondre d’homicide par négligence, même à l’égard d’une activité qu’il autorise un tiers à effectuer, mais qui n’a pas de lien avec son modèle d’affaire.

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Mes projets

Marchés publics

Droit d’être entendu – appel d’offres – procédure d’adjudication – Préimplication –Cahier des charges – exclusion –liberté économique – fardeau de la preuve – pouvoir d’appréciation

Art. 29 al. 2 Cst. et AIMP
Dans cet arrêt cantonal genevois, l’autorité judiciaire compétente constate dans le cadre du traitement d’un recours qui lui est soumis, que l’adjudicataire a réalisé une étude pour l’autorité adjudicatrice deux ans avant le lancement du marché public litigieux. Elle n’a cependant pas bénéficié d’informations privilégiées dans ce domaine ou d’un avantage concurrentiel dans ce cadre. En effet, les plans en cause ont été communiqués dans le dossier d’appel d’offres, de sorte que le recourant – soumissionnaire évincé – en a aussi bénéficié. L’autorité judiciaire cantonale retient donc qu’il n’y a pas eu de préimplication de l’adjudicataire dans le processus d’appel d’offres.

Cela étant précisé, l’autorité judiciaire considère que l’autorité adjudicatrice aurait dû indiquer que l’adjudicataire était l’auteure des plans en cause et les motifs lui permettant de présenter une offre. En manquant de le faire, elle viole le principe de transparence et de l’égalité de traitement entre soumissionnaires, de sorte que sa décision d’adjudication est, pour ce motif, illicite (arrêt ATA/265/2022 du 15 mars 2022 de la Chambre administrative de la Cour de Justice Cour de droit public du canton de Genève).

Mes affaires

Contrat de bail

Consignation du loyer – effet libératoire ­ résiliation pour non-paiement du loyer

Art. 257d, 259g et 259h CO
En septembre 2018, une locataire en ville de Bâle a demandé à la bailleresse de remédier aux défauts affectant l’entrepôt qu’elle lui louait. La locataire a signifié à la bailleresse qu’elle allait consigner les loyers auprès de l’autorité de conciliation si les défauts n’étaient pas réparés. Les défauts n’ayant pas été réparés, la locataire n’a plus versé de loyer. Ce n’est qu’une fois que le loyer pour le mois de novembre est devenu exigible, et après avoir été sommée par la bailleresse de s’acquitter des loyers, que la locataire a consigné les loyers pour les mois d’octobre et novembre auprès de l’autorité de conciliation. En décembre, après l’échéance du délai de paiement fixé, la bailleresse a résilié le bail pour cause de demeure de la locataire.

L’art. 259g CO permet au locataire qui exige la réparation d’un défaut de consigner les loyers. Pour que la consignation soit valable, il faut qu’elle porte sur des loyers qui ne sont pas encore échus. Si le locataire consigne des loyers qui sont déjà échus au moment de la consignation, celle-ci n’a pas pour effet d’éteindre la dette de loyer. Les loyers consignés ne sont pas réputés payés au sens de l’art. 259g al. 2 CO et le locataire s’expose à une résiliation extraordinaire pour demeure de payer le loyer.

Dans le cas d’espèce, la locataire n’a pas rempli cette condition, de sorte que les loyers consignés ne sont pas réputés payés. Comme les loyers consignés n’ont pas non plus été transférés à la bailleresse, respectivement les loyers ne lui ont pas été directement versés, dans le délai de paiement imparti, la résiliation du bail pour non-paiement du loyer était justifiée (TF 4A_571/2020 du 23 mars 2021).

Mes collaborateurs

Contrat de travail

Egalité femmes hommes – Discrimination à l’embauche – Degré de preuve

Art. 6 LEg et 8 CC
L’art. 6 de la loi sur l’égalité entre femmes et hommes instaure un assouplissement du fardeau de la preuve d’une discrimination à raison du sexe : ainsi il suffit à l’employée que se considère victime d’une discrimination de rendre vraisemblable l’existence d’une discrimination par l’apport d’indices objectifs pour engendrer un renversement du fardeau de la preuve. Autrement dit, si la vraisemblance de la discrimination est démontrée, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve stricte qu’elle n’existe pas.

Cet allègement du fardeau de la preuve ne s’applique pas à l’embauche. La personne qui allègue une discrimination à l’embauche doit donc établir qu’elle n’a pas été engagée en raison d’un motif discriminatoire et, en application de l’art. 8 CC, elle doit prouver l’existence de ce motif et son caractère décisif dans la décision du refus d’embauche. Au vu de la difficulté – voire de l’impossibilité dans la plupart des cas – d’apporter une preuve stricte d’une discrimination à l’embauche, le juge peut se satisfaire d’une preuve fondée sur une vraisemblance prépondérante : le contenu de l’offre d’emploi, la motivation écrite du refus d’embauche, un comportement contradictoire de l’employeur constituent autant d’indices pertinents.

Dans le cas d’espèce, la Cour cantonale a fait abstraction, sans explication, de l’avis des experts de la Commission cantonale de conciliation en matière d’égalité entre les sexes dans les rapports de travail, dont le rapport constitue incontestablement un moyen de preuve pertinent dans un litige portant sur la question d’une discrimination à l’embauche. Le TF retient sur cette base que la Cour cantonale a versé dans l’arbitraire (TF 8C_719/2021 du 4 octobre 2022).

Fin des rapports de travail –Offre de services – Demeure de l’employeur

Art. 18, 108 et 324 CO
L’offre de services à l’employeuse (condition nécessaire au paiement du salaire lorsque le délai de congé n’a pas été respecté ou a été prolongé en vertu de l’art. 336c CO et que le motif de protection a cessé) est une déclaration de volonté soumise à réception, dont l’interprétation s’opère selon le régime de l’art. 18 CO (y compris l’interprétation selon le principe de confiance). Elle doit être faite par le salarié personnellement, à temps et de manière adéquate, sans être soumise à une exigence de forme. Sur le fondement de la bonne foi, l’employeuse doit reconnaître une offre de services implicite si le salarié se rend à son travail. S’il n’a plus accès au lieu de travail, le salarié peut indiquer sa disponibilité oralement ou par écrit.

Par analogie avec l’art. 108 ch. 1 CO (« La fixation d’un délai n’est pas nécessaire lorsqu’il ressort de l’attitude du débiteur que cette mesure serait sans effet. »), le salarié n’a pas à offrir ses services lorsqu’il est reconnaissable que l’employeuse ne les acceptera pas, par exemple si elle a dispensé le salarié de l’obligation de travailler ou a repourvu l’emploi, ou encore si elle est en demeure de payer le salaire. Le salarié n’a pas à renouveler son offre pour maintenir la demeure de l’employeuse.

L’employeuse ne peut se prévaloir d’une absence d’offre de services lorsqu’elle a volontairement ou fautivement appliqué un délai de congé contraire au droit et que le salarié ignorait cette illicéité ou n’avait pas, sur le fondement des règles de la bonne foi, à la reconnaître (TF 4A_356/2022 du 20 décembre 2022).


Assurance Chômage

Droit à l’indemnité Période de cotisation

Art. 23 LAA
En vertu de l’article 8 LACI, la personne assurée a en principe droit à l’indemnité chômage, entre autres, si elle remplit les conditions relatives à la période de cotisation. Cela suppose que la personne assurée ait exercé durant 12 mois au moins une activité salariée soumise à cotisation, au sens de l’article 13 al. 1 LACI.

La personne assurée ne remplit pas cette condition si elle a exercé une activité indépendante pendant ce délai-cadre, quand bien même elle aurait exercé cette activité via un employeur fictif dans la cadre du portage salarial : du point de vue des assurances sociales, la personne n’en reste pas moins indépendante, ce qui la prive d’alimenter ses cotisations au chômage en tant que salariée (TF 8C 312/2022 du 26 octobre 2022).


Assurance Accident

Absence de valeur probante des avis des médecins de la Suva Inadéquation d’une indemnité en capital pour compenser des séquelles psychiques d’un accident

Art. 23 LAA
Un assuré conduisait un dumper sur un chantier dans une forte pente. En raison de la forte déclivité, le dumper, sous l’effet du déversement de 2 godets de terre, s’est soulevé et a éjecté l’assuré qui s’est retrouvé au fond de la fouille. Il a été polytraumatisé. Les médecins de la Suva ont considéré que l’assuré présentait une pleine capacité de travail dans un emploi adapté en rapport avec des séquelles au niveau du bassin, des membres inférieurs. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) a été fixé à 19%. En procédure d’opposition, la Suva a fixé le taux de la rente d’invalidité à 10% (0% lors de sa décision initiale). Elle a admis sa responsabilité en rapport avec les séquelles psychiques de l’accident considéré comme grave. Plutôt que d’allouer une IPAI et une rente d’invalidité en rapport avec la persistance des troubles psychiques (admission d’une baisse de rendement de 20% dans un emploi adapté), la Suva s’est contentée d’allouer une indemnité en capital de CHF 88’457.55 sur la base de l’art. 23 LAA, estimant que celle-ci était propre à permettre à l’assuré de reprendre un emploi adapté à ses séquelles accidentelles et de faire le deuil de son grave accident.

Saisi d’un recours, le TF a rappelé que s’il existe le moindre doute au sujet de la valeur probante des avis médicaux des médecins de l’assurance, une expertise est nécessaire. Le fait que les avis médicaux établis à la demande de l’assuré l’aient été par des médecins pratiquant en France n’est en l’occurrence pas décisif pour leur ôter toute valeur probante. Enfin, il n’est plus possible de considérer qu’un assuré pourrait se remettre de séquelles psychiques au travers d’une indemnité en capital. La cause a été renvoyée à la Suva chargée de procéder à des mesures d’instructions médicales complémentaires (TF 8C 70/2022 du 5 avril 2023).

Mes litiges

Hypothèque légale des artisans et entrepreneurs

Délimitation des travaux bénéficiant de la protection d’une hypothèque légale

Dans cet arrêt de principe, le TF précise certains points en lien avec l’inscription définitive d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs.

Tout d’abord, le TF rappelle que seuls peuvent faire l’objet d’une inscription d’une hypothèque légale les travaux de construction qui, sans être intégrés à l’ouvrage en tant que tel, participent au processus global de construction et sont indispensables à celui-ci. Les travaux doivent revêtir les trois caractéristiques suivantes :

  1. Il doit s’agir de prestations de construction ou de destruction typiques, qui doivent rester des prestations physiques manuelles et/ou mécaniques, à l’exclusion de prestations intellectuelles ou immatérielles, et qui, si elles n’ont pas à être intégrées ou rattachées durablement à l’ouvrage en tant que tel, doivent être spécifiques à celui-ci, en ce sens qu’elles doivent présenter un lien fonctionnel direct et immédiat avec la réalisation individuelle de l’ouvrage et doivent, à ce titre, être difficilement ou pas réutilisables.
  2. Le TF précise encore qu’une unité entre différentes prestations est admise lorsqu’elles sont liées entre elles, de telle sorte qu’elles forment un tout. Sont notamment considérées comme formant un tout des commandes successives de béton frais pour un même chantier ou des travaux de terrassement qui doivent être effectués en même temps que la réalisation d’une paroi.
  3. Notre Haute cour considère enfin que les prestations d’évacuation et d’élimination de déblais ou de gravats de chantier ne peuvent pas bénéficier de la protection d’une hypothèque légale, puisqu’elles ne peuvent être qualifiées de travaux typiques de construction ou de destruction spécifiques à la réalisation d’un ouvrage. L’inscription d’une hypothèque légale pourrait toutefois être acquise si l’entreprise démontre une unité fonctionnelle avec d’autres travaux qui eux bénéficieraient d’une telle protection. Ce serait assurément le cas si les gravats étaient débarrassés par l’entreprise ayant procédé aux travaux de démolition, puisque de tels travaux sont aujourd’hui considérés comme des prestations couvertes par une hypothèque légale (TF 5A_689/2022 du 6 avril 2023).

Responsabilité civile

Devoir de prudence – violation des règles de l’art de construire ­ homicide par négligence

Art. 12 al. 3, 117 et 229 CP
La responsabilité de celui qui collabore à la direction ou à l’exécution d’une construction se détermine sur la base des prescriptions légales (notamment LAA, OPA, OTConstr), des accords contractuels ou des fonctions exercées, ainsi que des circonstances concrètes. Chaque participant à une construction est donc tenu, dans son domaine de compétence, de déployer la diligence requise pour veiller au respect des règles de l’art de construire et de sécurité.

Pour ceux qui dirigent les travaux, il existe le devoir de donner les instructions nécessaires et de surveiller l’exécution. Ainsi, le directeur des travaux – soit la personne qui choisit les exécutants, donne les instructions et les recommandations nécessaires, surveille l’exécution des travaux et coordonne l’activité des entrepreneurs – répond tant d’une action que d’une omission, pouvant consister à ne pas surveiller, à ne pas contrôler le travail ou à tolérer une exécution dangereuse.

Dans cette affaire, le TF considère que le recourant, en sa qualité de directeur des travaux, a créé un risque inadmissible pour autrui en ordonnant à son personnel de travailler en hauteur sur un chantier dangereux, au mépris des prescriptions et normes de sécurité élémentaires (absence de port d’un harnais, d’un casque de protection, etc.). Ce faisant, il a rendu possible la survenance de la chute mortelle de son employé inexpérimenté (apprenti), laquelle aurait par ailleurs pu être évitée par une intervention et une surveillance adéquate. Le décès de la victime est dès lors en lien de causalité naturelle et adéquate avec la violation fautive d’un devoir de prudence, et est constitutif d’un homicide par négligence (TF 6B_1386/2021 du 16 mars 2023).

Faute – causalité ­ homicide par négligence – position de garant

Art. 12 al. 3 et 117 CP
Une boulangerie confie à une entreprise de peinture le soin de repeindre son conteneur à ordures métallique comportant à l’avant un dispositif permettant de verser les déchets et à l’arrière une trappe servant à les vider et en informe son employé. A cette occasion, le peintre mandaté demande à un employé de la boulangerie de l’aider à ouvrir le couvercle de déchargement de la benne, qui pèse environ 220 kg. L’employé de la boulangerie demande à son supérieur, l’employeur, si lui ainsi qu’une autre personne peuvent aider le peintre à ouvrir la trappe en question et s’ils peuvent utiliser le transpalette électrique à cet effet. L’employeur autorise en précisant que la porte de déchargement doit être sécurisée lors de son ouverture. Lors de la manœuvre, la porte de déchargement du conteneur glisse des extrémités des fourches du transpalette et se referme, touchant le peintre à la tête. Celui-ci subi de très graves blessures à la tête et décède sur le lieu de l’accident. L’employeur est reconnu coupable d’homicide par négligence par le tribunal de première instance puis acquitté en seconde instance.

Saisi d’un recours, le TF commence par rappeler que pour qu’une personne soit déclarée coupable d’homicide par négligence, il faut que l’auteur ait causé le résultat en violant un devoir de diligence et que, ce n’est que si celui-ci se trouve dans une position de garant, qu’il est possible de déterminer l’étendue du devoir de diligence et les actes concrets qu’il est tenu d’accomplir en vertu de ce devoir de diligence.

Il examine ensuite la question de savoir si l’employeur avait une position de garant vis-à-vis du peintre et dans l’affirmative s’il a violé son devoir de diligence. Le TF relève que lorsque l’employeur, dans le cadre de ses tâches contractuelles de responsable de la sécurité de l’entreprise, est sollicité pour autoriser une activité déterminée, il assume, en tant que responsable de la sécurité de l’entreprise, la responsabilité de ce projet en autorisant ou en n’interdisant pas une activité concrète – comme en l’occurrence l’ouverture manuelle et en partie mécanique de la trappe de déchargement du conteneur. Par conséquent, pour l’activité qu’il a autorisée ou n’a pas interdite, il devait également veiller à la sécurité au travail du peintre, même s’il s’agissait d’une personne extérieure à l’entreprise. Ainsi selon le TF, l’employeur a étendu son obligation contractuelle de garant aux autres personnes impliquées dans le projet d’ouverture de la trappe.

Le TF conclut qu’en faisant preuve de la diligence requise, l’employeur aurait été tenu d’interdire l’ouverture non conforme de la trappe de déchargement ou, du moins, de procéder personnellement à une évaluation des risques sur place. En n’interdisant pas ou en autorisant cette procédure d’ouverture non conforme aux règles de l’art et en ne se rendant pas sur place pour s’assurer de la sécurité de l’ouverture de la porte de déchargement, il n’a pas fait preuve de la diligence requise et raisonnable dans les circonstances concrètes. En se limitant à indiquer que la porte de déchargement devait être sécurisée lors de son ouverture, l’employeur n’a pas rempli ses obligations. Le TF admet dès lors le recours et renvoie l’affaire à l’autorité cantonale pour l’examen des éléments constitutifs de l’homicide par négligence qu’elle n’avait pas encore examinés (TF 6B_47/2021 du 22 mars 2023).


Circulation routière

Responsabilité du détenteur de véhicule – Faute – Distance par rapport au piéton ­ Juste indemnité

Art. 34 al. 4 LCR, 433 al. 2 CP
Un automobiliste se voit reprocher de ne pas avoir adapté sa vitesse (30-35 km/h) et d’être passé trop près d’un piéton situé au bord ou à proximité du trottoir, avant de lui passer sur le pied droit avec sa roue arrière droite.

Le TF rappelle que la distance nécessaire par rapport à un piéton ne peut pas être fixée une fois pour toutes en chiffres. Elle se détermine notamment en fonction de la largeur de la route. Selon les circonstances, une distance de 50 cm peut être admissible en cas de ruelle étroite et de vitesse modérée permettant un arrêt immédiat. En l’espèce, l’automobiliste a bien violé l’art. 34 al. 4 LCR car il devait se rendre compte que le piéton qui lui tournait le dos avait son attention complètement accaparée par un véhicule de livraison et qu’une distance aussi faible ne permettrait pas d’éviter une collision (TF 6B_239/2022 du 22 mars 2023).

Violation des règles de la circulation – Notion de voie publique

Art. 1er et 90 LCR
Un automobiliste est condamné à une amende de CHF 300.- pour avoir heurté, en sortant de son garage, le véhicule stationné devant sa maison et avoir quitté les lieux de l’accident alors qu’il avait entendu un léger bruit de plastique. Il a tenté de soutenir que cette touchette était intervenue sur domaine privé et non sur la voie publique, de sorte que les règles de la circulation n’y auraient pas été applicables.

Le TF rappelle que la notion de route publique est une conception large. Le facteur déterminant n’est pas de savoir si la surface de la route est en propriété privée ou publique, mais si elle est utilisée par la circulation générale et si son usage est possible pour un groupe indéterminé de personnes, à l’image par exemple d’un parking d’immeuble comprenant des places pour les visiteurs accessibles à un nombre indéterminé de personnes.

Dans le cas d’espèce, le TF retient, comme la cour cantonale avant lui, que la place pavée devant le garage concerné pouvait être empruntée par un nombre indéterminé de personnes, notamment des visiteurs, sans qu’aucune signalisation ne vienne établir que le recourant souhaitait en disposer exclusivement. L’emplacement doit être considéré comme étant une voie publique au sens des art. 1er LCR et 1er OCR. Le recours est rejeté et l’infraction commise par le recourant confirmée (TF 6B_335/2021 du 29 novembre 2021).

Retrait du permis de conduire – Perte de maîtrise – Vitesse inadaptée – Gravité de la faute

Art. 16c, 31 al. 1, 32 al. 1 et 90 al. 1er LCR et 90 LCR
Une automobiliste conteste son retrait de permis pour 3 mois pour avoir perdu la maîtrise de son véhicule et heurté le véhicule qui circulait sur la voie de droite, provoquant un accident, alors qu’elle effectuait, sur autoroute, un dépassement à une vitesse d’environ 100 km/h sur une chaussée mouillée et par temps pluvieux. Elle soutient que sa faute doit être tenue pour moyenne et non pour grave.

Le TF rappelle que l’art. 16c al. 1er LCR prévoit qu’une personne commet une faute grave lorsqu’en violant les règles de la circulation, elle viole gravement les règles de la circulation routière et met sérieusement en danger la sécurité d’autrui ou en prend le risque. Commet une faute de gravité moyenne celui qui, en violant les règles de la circulation routière, crée un danger pour la sécurité d’autrui ou en prend le risque.

Dans le cas d’espèce, le TF rappelle que de jurisprudence constante, la faute est grave lorsqu’il y a perte de maîtrise avérée alors que les conditions de circulation requièrent une attention particulière, par exemple lorsque l’autoroute est détrempée avec un risque d’aquaplaning. Sur autoroute, où la circulation est toujours très rapide, la perte de maîtrise due à une conduite inadaptée constitue une grave mise en danger de la sécurité routière, compte tenu du risque important de collision avec les autres véhicules et des conséquences que cela peut avoir. La faute doit donc bien être tenu pour grave, de sorte que le recours est rejeté (TF 1C_135/2022 du 24 août 2022).

Entrave aux services d’intérêt général – Empêchement d’accomplir un acte officiel

Art. 239 ch. 1 et 292 CP
Un manifestant est condamné à 50 jours-amende avec sursis et à une amende de CHF 700.- pour s’être assis, s’être immobilisé ou avoir marché à plusieurs reprises, sans autorisation préalable, sur des voies de circulation afin de bloquer la circulation, les véhicules d’urgence et les bus ayant dû être déviés sur d’autres artères, avoir ignoré la demande des forces de l’ordre de quitter les lieux de son propre chef, les obligeant à l’évacuer de force. Il recourt contre sa condamnation en invoquant que ses actes se seraient inscrits dans une démarche de protestation politique portée par les libertés d’expression et de réunion.

Le TF rappelle que les actions de blocage peuvent donner lieu à des condamnations pénales, notamment lorsque les conditions constitutives de l’infraction de contraintes sont réunies. La Cour européenne des droits de l’homme admet aussi que lorsque les manifestants perturbent intentionnellement la vie quotidienne et les activités licites d’autrui, ces perturbations peuvent justifier l’imposition de sanctions lorsque leur ampleur dépasse celle qu’implique l’exercice normal de la liberté de réunion pacifique. Tel a été le cas dans une affaire impliquant le blocage de trois autoroutes importantes au mépris des ordres de la police et des intérêts et droits des usagers de la route.

Dans le cas d’espèce, le TF observe que l’établissement des faits est lacunaire, notamment parce rien au dossier ne permet d’établir que le manifestant ait manqué de demander une autorisation pour son action, ni d’établir l’ampleur des perturbations retenues à l’appui de la condamnation du recourant, de sorte qu’il ne peut juger de cette affaire en pleine connaissance de cause. Aussi le jugement est-il annulé et le dossier renvoyé à l’autorité cantonale pour que l’instruction soit complétée sur ces points et un nouveau jugement rendu (TF 6B_655/2022 du 31 août 2022).