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Les rappels du mois par la Jurisprudence

Choix de jurisprudences du Tribunal fédéral

Dans la présente chronique, nous proposons un nouveau choix de décisions rendues par notre Haute Cour, offrant des éclairages précieux à l’entrepreneur sur des enjeux jalonnant la pratique de son métier.

  • Des arrêts pertinents pour l’employeur dans le domaine du droit du travail, notamment pour mettre en lumière les conditions auxquelles un travailleur licencié peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires non compensées à la fin des rapports de travail.
  • Une décision de principe consacre, sous l’angle des assurances sociales, le statut d’employé des chauffeurs Uber actifs en Suisse, ce qui clarifie une situation délicate pour les caisses de compensation.
  • Enfin un arrêt rigoureux rappelle les conditions auxquelles la responsabilité des différents acteurs intervenant sur un chantier où se produit un accident peut être engagée, que ce soit sur le plan civil, ou sur le plan pénal, notamment en réalisant l’infraction de violation des règles de l’art de construire de l’article 229 CP.

Mes projets

Droit de la propriété

Responsabilité du propriétaire d’ouvrage – Responsabilité de l’Etat – Irrecevabilité

Art. 58 CO
Dans cet arrêt, le recourant soutenait que la réalisation d’un remblai terreux aménagé en contrebas d’une route communale aurait contribué à accélérer le mouvement de son terrain. Ce phénomène aurait entraîné des fissures à l’intérieur et à l’extérieur de son chalet. Il avait attaqué en responsabilité la commune sur la base de la loi cantonale sur la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents.

La responsabilité des collectivités publiques cantonales et communales, des fonctionnaires et des employés publics des cantons et des communes à l’égard des particuliers pour le dommage qu’ils causent dans l’exercice de leur charge est en principe régie par les art. 41 ss CO. La responsabilité d’un canton ou d’une commune s’examine toutefois en principe à l’aune de l’art. 58 CO lorsqu’une personne a subi préjudice causé par un ouvrage appartenant à l’une de ces collectivités.

  • Le TF rappelle d’abord que la notion d’ouvrage peut s’étendre à certaines choses naturelles qui, lorsqu’elles sont artificiellement aménagées, peuvent acquérir la qualité d’ouvrages. Tel est notamment le cas d’un remblai installé en vue d’assurer la fonctionnalité d’un ouvrage, dont il fait dès lors partie intégrante.
  • La jurisprudence impose de déterminer qui est propriétaire de l’ouvrage défectueux ou mal entretenu. Cette règle doit cependant être tempérée, notamment lorsque deux choses juridiquement indépendantes forment un seul et même ouvrage d’un point de vue fonctionnel et que le défaut affectant la chose la moins importante se présente comme un défaut de l’autre ; dans un tel cas, il importe peu que les deux choses appartiennent à des propriétaires différents. La responsabilité du propriétaire de l’ouvrage de l’art. 58 CO est alors encourue par le propriétaire de la partie la plus importante.
  • Le recourant avait tenté d’échapper à l’application du droit privé fédéral en soutenant que ce n’était pas le défaut du remblai qui avait provoqué le dommage, mais la décision prise par la commune de le réaliser. Selon le Tribunal fédéral, telle n’est toutefois pas la question. L’enjeu du litige est de savoir si la commune est responsable des dégâts causés au chalet du recourant en application de l’art. 58 CO, ce qui ne peut être tranché dans le cadre d’une procédure relevant de la responsabilité étatique. En ce sens, c’est à bon droit que l’autorité judiciaire cantonale avait considéré la demande du recourant comme irrecevable (TF 2C 901/2022 du 31 mai 2023).

Mes affaires

Contrat de bail

Bail à loyer – Parties locataires – Requête d’expulsion

Art. 779a al.2 et 18 CO
Un bail est signé du côté locataire par deux associés devant créer une société à responsabilité limitée, mais finalement non inscrite au Registre du commerce pour ne laisser place qu’à une société en nom collectif. Un des associés tombe en faillite et une requête d’expulsion des locaux est adressée aux 2 associés par le bailleur. Les deux locataires soutiennent que cette requête serait irrecevable, car elle n’a pas été adressée également à la société à responsabilité limitée qui devait être créée, et qui figurait pourtant comme 3ème partie locataire sur le contrat de bail.

L’art. 779a CO prévoit que les personnes qui agissent au nom de la société avant l’inscription de cette dernière au Registre du commerce en sont personnellement et solidairement responsables. Les personnes qui contractent expressément des obligations au nom de la société en sont libérées si cette dernière reprend les obligations dans les 3 mois à compter de son inscription au Registre du commerce : dans ce cas, la société demeure seule engagée.

Dans le cas d’espèce, comme la société à responsabilité limitée projetée n’a jamais été inscrite au Registre du commerce, elle n’a jamais existé comme sujet de droit ni ne pouvait être actionnée en justice. Seuls les deux associés sont locataires, puisqu’ils se sont engagés à l’origine et en leur nom propre en portant leur signature sur le contrat de bail litigieux. La signature par chacun des associés devait engager la société à responsabilité limitée projetée, mais celle-ci n’a finalement jamais vu le jour.

C’est donc à tort que l’on soutient que la requête d’expulsion serait irrecevable, au motif qu’elle n’a été envoyée aux deux locataires personnes physiques. Comme la société à responsabilité limitée mentionnée sur le contrat de bail n’a jamais été inscrite, il n’y avait aucune raison de la lui adresser également, la requête d’expulsion aux deux locataires personnes physiques devant être tenue pour valablement notifiée et recevable (Cour d’appel civile du TC vaudois, décision du 13 juillet 2022/365).

Mes collaborateurs

Droit du travail

Licenciement – Personne vulnérable – COVID-19 – Droits fondamentaux

Art. 336 CO et 9 Cst
Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’est pas contraire au droit de licencier une employée d’un réseau hospitalier, consécutivement à des difficultés organisationnelles importantes générées par son état de santé en lien avec une vulnérabilité à l’égard du COVID-19, aucun autre poste garantissant des conditions propres à assurer sa sécurité ne pouvant lui être proposé. En effet :

  • L’employée avait été en incapacité de travail prolongée pour des motifs étrangersau contexte professionnel ;
  • L’employeur avait patientéplus de dix mois et s’était efforcé de permettre à l’employée de reprendre le travail en son sein ;
  • Bien que l’employeur eusse pu choisir, après avoir tenté d’occuper la travailleuse à un poste de substitution respectivement au télétravail, de dispenser celle-ci de ses obligations professionnelles, tout en maintenant le paiement de son salaire et en sollicitant l’octroi d’allocationspour perte de gain COVID-19, cela ne rendait pas pour autant insoutenable sa décision de la licencier, dès lors que ce licenciement respectait les conditions légales d’une résiliation ordinaire prévues par le droit cantonal (TF 8C_353/2022 du 16 mai 2023).

Licenciement – Respect des instructions – Port du masque

Art. 336 CO
Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’est pas contraire au droit de licencier, après plusieurs avertissements, une psychologue d’entreprise de la ville de Zurich, qui avait refusé de porter le masque dans le cadre de la pandémie de covid-19.

Cette dernière a tenté de faire valoir un certificat médical qui la dispensait du port du masque. Toutefois, elle a persisté à refuser de rencontrer le médecin de confiance de l’employeur, de sorte que son licenciement, après plusieurs avertissements, s’en trouvait justifié (TF 8C_271/2023 du 19 juin 2023).

Heures supplémentaires – Estimation

Art. 321c CO, 2 et 8 CC
Pour échapper au paiement d’heures supplémentaires réclamées par une employée de maison, les employeurs tentent de soutenir que celles-ci ne sont pas établies à satisfaction de droit, notamment parce qu’elles ne reposeraient que sur des témoignages approximatifs qui ne suffiraient pas à démontrer qu’elles ont été effectuées et que l’employeur en avait connaissance, de sorte que la Cour cantonale a eu tort de les tenir pour démontrées.

Le Tribunal fédéral retient que, la dame âgée gardée à domicile étant elle-même l’une des employeuses, elle avait nécessairement connaissance des heures supplémentaires effectuées, puisqu’elle en bénéficiait directement. Une éventuelle compensation de facto de ces heures supplémentaires par des congés lorsque la dame âgée était hospitalisée, soit durant quatre mois en 2013 et durant deux mois en 2018 n’est pas pertinente, dès lors que rien n’indique que le thème d’une compensation de ces heures supplémentaires par un congé ait été abordé, sachant que la durée de ces hospitalisations n’était pas déterminée par avance et que l’employée aurait dû se tenir prête à reprendre le travail à première réquisition, dès la sortie de l’hôpital.

En conséquence, le raisonnement de la cour cantonale, retenant sur cette base l’existence d’heure supplémentaires effectuées ne prête pas le flanc à la critique et l’employeur reste débiteur de les payer (TF 4A_390/2022 du 7 juillet 2023).

Heures supplémentaires – Constatation – Prescription – Principe de la confiance

Art. 128 et 321c CO
Le Tribunal fédéral juge, et rejette, le recours d’une association intercommunale contre la décision cantonale d’octroyer le paiement d’un certain nombre d’heures supplémentaires. Il rappelle d’abord qu’il convient de distinguer les cas où les heures supplémentaires font en principe l’objet d’un congé compensatoire (art. 321c al. 2 CO), puis sont éventuellement compensées en argent, de ceux où elles sont (directement) compensées en argent (art. 321c al. 3 CO) : dans le premier cas, la créance en compensation en argent vient remplacer le congé compensatoire et dépend ainsi de l’absence de congé compensatoire équivalent, ce qui a un impact sur le moment de son exigibilité.

Dans cette affaire le tribunal cantonal a jugé que la volonté réelle et concordante des parties ne pouvait pas être déterminée concernant la durée du temps de travail décrite sur la base du cahier des charges concerné, qui n’était pas suffisamment clair. Il a ainsi interprété la clause y relative selon le principe de la confiance, et a notamment considéré qu’un système de compensation par le biais d’un horaire de travail flexible était illusoire compte tenu de la charge de travail à réaliser. Le travailleur avait régulièrement compensé des heures tout au long des rapports de service, sans réussir à les récupérer entièrement.

Dans ce contexte, selon le tribunal, on pouvait partir du principe que les heures supplémentaires les plus anciennes avaient été compensées. On ne pouvait en revanche pas attendre de l’employé qu’il se manifeste à chaque fin de mois pour réclamer le salaire afférent aux heures en question. Puisqu’il n’avait pas l’obligation d’annoncer le nombre de ses heures supplémentaires tant qu’il pouvait partir de l’idée qu’il pourrait les compenser, on ne pouvait pas lui reprocher un abus de droit à réclamer le paiement de celles qui n’avaient pas été compensées par un congé à la fin des rapports de travail (TF 8C_463/2022 du 9 mars 2023).


Assurance vieillesse et survivants

Délimitation entre activité lucrative indépendante et dépendante – Chauffeurs Uber

Art. 5, 8 et 12 al. 2 LAVS
Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a tranché le litige qui opposait la Caisse de compensation de Zurich et Uber B.V., et a précisé à cette occasion le statut des chauffeurs Uber du point de vue des assurances sociales :

  • S’agissant du statut des chauffeurs Uber, le Tribunal fédéral confirme que les chauffeurs Uber exercent une activité lucrative dépendante. En effet, les directives édictées par Uber B.V. laissent peu de marge de manœuvre aux chauffeurs, le respect de ces instructions est contrôlé par le biais de l’application, le rapport de subordination existe dans des domaines essentiels et les chauffeurs ne supportent pas ou peu le risque de l’entrepreneur
  • Le Tribunal fédéral retient ensuite la présomption que les chauffeurs Uber ont un statut de salarié pour les chauffeurs Uber. Notre Haute Cour accepte que l’on définisse ainsi un chauffeur « type » pour lequel le statut de salarié est admis. Ce constat permet d’éviter de procéder à un examen individuel de chaque relation contractuelle entre Uber et les différents chauffeurs. De ce fait, seuls les chauffeurs employant leurs propres chauffeurs salariés ou qui gèrent l’activité Uber par l’intermédiaire d’une personne morale ne sont pas d’emblée considérés comme salariés, leur statut devant être examiner au cas par cas.
  • Le Tribunal fédéral examine enfin la question de l’existence ou non pour la société Uber B.V. d’un établissement stable en Suisse. Cette question est centrale pour déterminer l’étendue de l’obligation de cotiser de Uber B.V., qui emploie des chauffeurs en Suisse. En effet, comme cette société a son siège au Pays-Bas, soit elle dispose d’un établissement stable en Suisse, et sera tenue de payer des cotisations pour tous ses employés selon la loi sur l’assurance vieillesse et survivants, soit elle n’en a pas et l’obligation de cotiser est fixée par les accords signés avec l’Union européenne et les chauffeurs devraient verser eux-mêmes des cotisations.

En droit des assurances sociales, la notion d’établissement stable est plus large qu’en droit fiscal. En effet, pour être reconnu comme tel, il n’est pas nécessaire qu’une partie qualitativement ou quantitativement importante de l’activité commerciales soit exercée dans l’établissement stable. Il s’avère que Uber Switzerland Sàrl met à disposition de Uber B.V. des bureaux de manière permanente à Zurich et qu’une partie de son activité commerciale s’y déroule, les conditions pour admettre un établissement stable sont donc remplies. Uber B.V. est donc tenu de payer les cotisations de tous ses employés.

Cet arrêt, bien que concernant les chauffeurs zurichois, est applicable dans toute la Suisse. Les employé-e-s d’Uber, en passant à un statut de salarié, voient leur protection sociale nettement améliorée (chômage, protection en cas de maladie, etc.) et leurs charges sociales diminuées. De plus, en tranchant la question de l’existence d’un établissement stable et en définissant un chauffeur « type » pour lequel le statut de salarié est reconnu, le Tribunal fédéral a grandement facilité le travail des caisses de compensation souhaitant recouvrer les cotisations sociales dues (TF 9C_70/2022 et 9C_76/2022 du 16 février 2023).


Assurance perte de gain

Indemnités journalières maladie – Preuve à futur

Art. 158 CPC
Une travailleuse est assurée pour la perte de gain en cas d’incapacité de travail par le contrat d’assurance de son employeur. Elle ne répond pas à la convocation du médecin spécialisé désigné par l’assureur qui lui annonce suspendre le paiement des indemnités journalières pour ce motif.

L’assurée engage une procédure de mesures provisionnelles et requiert la mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire pour établir son incapacité de travail. Il s’agit là d’une requête de preuve à future par laquelle la travailleuse demande qu’on ordonne son expertise médicale pour qu’elle puisse, plus tard en procédure, se prévaloir de l’état d’incapacité qui serait ainsi constaté. L’art. 158 al. 1 let. b CPC permet au tribunal d’administrer les preuves en tout temps lorsque la mise en danger des preuves ou un intérêt digne de protection est rendu vraisemblable par le requérant.

La cour des assurances sociales du tribunal cantonal la déboute de sa demande, estimant qu’elle n’avait pas rendu vraisemblable son droit aux prestations. Par son refus de collaborer, en ne se rendant pas à l’examen médical demandé par l’assureur, sa demande de preuve à futur contrevenait au principe de la bonne foi.

Le TF rappelle pour sa part que la travailleuse doit rendre vraisemblable qu’elle a une prétention matérielle contre son employeur et – cumulativement – que l’administration de la preuve tend à établir l’état de fait dont elle tire son droit. Dans le cas d’espèce, l’instance cantonale a rejeté la requête de preuve à futur en s’appuyant sur les conditions générales d’assurance de l’intimée, selon lesquelles l’assuré ne peut pas faire valoir un droit à des prestations tant qu’il s’oppose à un examen médical spécialisé. Or selon le TF, la recourante ne démontre pas que l’instance précédente serait tombée dans l’arbitraire en considérant que la prétention au fond n’avait pas été rendue vraisemblable pour défaut de collaboration de l’assurée.

Le risque lié à la disparition de la preuve n’a pas été reconnu par l’autorité cantonale. L’autorité cantonale a motivé son refus d’administrer la preuve à futur, estimant que les médecins établissaient régulièrement des expertises rétrospectives sur l’état de santé et la capacité de travail. Le TF considère que ce raisonnement ne prête pas le flanc à la critique, et retient qu’il n’y a donc aucune violation des droits constitutionnels à refuser d’administrer la preuve à futur, dans le cas d’espèce, en raison du comportement contradictoire et contraire à la bonne foi de la recourante (TF 4A_292/2023 du 27 juin 2023).

Mes litiges

Responsabilité civile

Responsabilité civile – Lien de causalité – Position de garant – Violation des règles de l’art de construire

Art. 11 al. 2, 12 al. 3 et 229 CP
Un directeur de succursale a confié la réalisation de travaux d’étanchéité à l’intérieur d’un bâtiment à l’un de ses techniciens. Le directeur a personnellement assisté à une séance de chantier dans le but de planifier les travaux. Le technicien a ensuite expliqué les travaux à accomplir à deux de ses collaborateurs, l’un ouvrier qualifié, l’autre non, puis a quitté les lieux. Les deux ouvriers n’étaient pas pourvus des équipements usuels de protection. L’ouvrier qualifié a entrepris une manœuvre visant à accélérer la réalisation des travaux, ce qui a entraîné un départ de feu et la propagation de vapeurs chimiques avec pour conséquences qu’il a souffert de brûlures, a été hospitalisé et a subi un arrêt de travail complet de longue durée. La violation des règles de l’art de construire a notamment été retenue contre le directeur et son technicien, lesquels recourent jusqu’au TF.

Le TF constate que le directeur des travaux est tenu de veiller au respect des règles de l’art de construire et répond d’une action ou d’une omission. Il rappelle que la responsabilité pénale d’un participant à la construction se détermine sur la base des prescriptions légales, des accords contractuels ou des fonctions exercées, ainsi que des circonstances concrètes. Chacun est tenu, dans son domaine de compétence, de déployer la diligence que l’on peut attendre de lui pour veiller au respect des règles de sécurité. Pour ceux qui dirigent les travaux, à l’instar du technicien en charge, il existe un devoir de donner des instructions nécessaires et de surveiller.

Une seule et même violation des règles de l’art peut être le fait de plusieurs personnes. L’art. 229 CP implique une position de garant de l’auteur, en ce sens qu’il astreint les personnes qui créent un danger dans le cadre de la direction ou de l’exécution d’un ouvrage à respecter les règles de sécurité dans leur domaine de responsabilité. En raison de sa conception en tant que délit spécial, l’art. 229 CP limite d’emblée la punissabilité aux personnes pour lesquelles une position de garant doit être admise.

Deux conditions doivent être remplies pour que l’on puisse reprocher une négligence :

  • l’auteur doit violer les règles de prudence
  • la violation doit pouvoir lui être imputable à faute

En l’espèce, le TF retient que le directeur a assisté à une séance de chantier avec le but de planifier celui-ci. Il n’est donc pas intervenu personnellement sur le chantier, ou s’occuper de la mise en œuvre opérationnelle, respectivement en assurer la coordination. Ne s’étant pas personnellement impliqué dans la direction des travaux, il ne fait pas partie du cercle des auteurs de l’infraction visée à l’art. 229 CP et a donc été acquitté.

En revanche, le TF retient la responsabilité du technicien. Celui-ci avait pour tâche la mise en œuvre opérationnelle du chantier soit de donner des instructions aux ouvriers, de rappeler régulièrement les règles de sécurité et de passer régulièrement sur le chantier vu son rôle de cadre intermédiaire. Son rôle implique d’emblée une position de garant en lien avec les tâches qui lui reviennent. Il ne pouvait pas se décharger de ses devoirs d’information et de surveillance sur ses ouvriers. Or:

  • la réalisation des travaux nécessitait des instructions particulières en raison des risques liés à l’usage du produit en cause, qui peut provoquer des vapeurs chimiques. Les règles de sécurité devaient également être rappelées. Comme le technicien n’a donné aucune instruction concernant la pose du produit ou l’aération des locaux par exemple, il y a bien eu omission.
  • Ce faisant le technicien a donc violé les règles de l’art au sens de l’art. 229 CP. Il a été négligent, car il n’a pas instruit et surveillé les ouvriers quand bien même il avait 15 ans d’expérience dans l’entreprise.
  • Le lien de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et la mise en danger existe car la violation des règles de l’art par le technicien a conduit à l’augmentation du risque d’incendie et a ainsi exposé les ouvriers présents sur le chantier à une mise en danger.

Les conditions objectives et subjectives de l’art. 229 CP sont dans ce cas remplies selon le TF (TF 6B_513 et 520/2022 du 9 juin 2023).


Poursuite et faillite

Mainlevée définitive – Salaire brut ou salaire net – Titre de mainlevée

Art. 80 et 81 LP
Dans cet arrêt de principe, le Tribunal fédéral sa examiné trois questions :

  • Est-ce que le juge de la mainlevée, sur la base d’un jugement condamnant l’employeur à verser un salaire brut, doit accorder la mainlevée définitive et, le cas échéant, pour le salaire net ou le salaire brut ?
  • Est-ce que l’employeur poursuivi qui a été condamné à payer un salaire brut est en droit de faire valoir, à titre d’exception au sens de l’art. 81 al. 1 LP, qu’il ne doit que le salaire net à son employé ?
  • Est-ce que cet employeur, le cas échéant, doit démontrer le paiement effectif ou seulement l’étendue de son obligation de payer le montant des cotisations sociales et légales ?

Après avoir examiné les pratiques cantonales, le Tribunal fédéral parvient à la conclusion que le jugement définitif et exécutoire qui condamne un employeur à payer un salaire brut à son employé, sous déduction des charges sociales à la charge de ce dernier, constitue un titre de mainlevée au sens de l’art. 80 al. 1 LP.

L’employeur peut toutefois soulever à titre d’exception contre la mainlevée demandée par le travailleur le fait qu’il a l’obligation de verser les cotisations sociales à prélever sur le salaire brut, et donc refuser de les payer au travailleur. Il lui incombe alors de prouver par titre l’étendue de son obligation, sans qu’il ait toutefois à se prévaloir d’un paiement effectif. A défaut, le juge de la mainlevée lève l’opposition à concurrence du salaire brut; car il ne lui appartient pas de revoir le fond du jugement en déterminant lui-même le salaire net.(TF 5A_816/2022 du 29 mars 2023).


Droit de la circulation routière

Effet rétroactif du nouveau droit – Interdiction de dépasser par la droite

Art. 2 al. 1 et 2 CP, 90 al. 2 LCR et art. 36 al. 5 let. A OCR
Dans cette affaire, il est reproché à un conducteur d’avoir, depuis la voie de dépassement gauche, dépassé un véhicule par la droite sur la voie normale, puis 4 autres avant de se remettre à gauche sur la voie de dépassement de l’autoroute concernée, se rendant ainsi responsable d’une violation grave des règles de la circulation et d’un danger sérieux pour la sécurité d’autrui. Il a été condamné à une peine pécuniaire de 50 jours amende.

En recours, le conducteur soutient que sa manœuvre aurait dû être jugée en application de l’art. 36 al. 5 let. a de l’ordonnance sur les règles de la circulation routière entré en vigueur le 1er janvier 2021, qui lui serait plus favorable car admettant plus largement le devancement par la droite. En particulier, cette disposition prévoit une amende d’ordre pour sanctionner ce type de manœuvre

Le Tribunal fédéral rappelle que la question de savoir si le nouveau droit est plus favorable que l’ancien s’apprécie au cas par cas. En l’espèce, certes le nouveau droit admet plus largement et sanctionne moins durement une manœuvre, prise pour elle-même, consistant à dépasser par la droite sur l’autoroute. Néanmoins, cela n’exclut pas, comme dans cette affaire, qu’une telle manœuvre remplisse les conditions d’une violation grave des règles de la circulation au sens de l’article 90 al. 2 LCR en créant un danger abstrait accru. De ce point de vue, le nouveau droit n’est pas plus favorable que l’ancien et la condamnation de ce conducteur a été maintenue (TF 6B_231/2022 1er juin 2022).

Responsabilité civile – Causalité – Homicide par négligence – Vitesse adaptée

Art. 41 CO, 32 LCR et 117 CP
Dans cette affaire, le Tribunal fédéral examine les circonstances d’un accident de la circulation lors duquel un cycliste a mortellement heurté un piéton. Les juges fédéraux rappellent que pour qu’il y ait négligence, il faut tout d’abord que l’auteur ait, d’une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d’autre part, il n’ait pas déployé l’attention et les efforts que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir.

Selon l’art. 31 al. 1 LCR, le conducteur doit rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer au devoir de la prudence. L’observation de la règle de l’adaptation de la vitesse aux circonstances est la première condition de la maîtrise du véhicule. La règle de l’art. 32 al. 1 LCR implique aussi qu’on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité le permettent. Il faut notamment réduire sa vitesse dans un virage à visibilité réduite. La règle de la possibilité d’arrêt sur la distance de visibilité, et en fonction des risques prévisibles, est la règle fondamentale de l’adaptation de la vitesse.

Dans le cas d’espèce, le choc a eu lieu au sortir du deuxième segment d’une grande courbe à droite. Le TF retient que le cycliste a violé son devoir de prudence en n’adoptant pas une vitesse adéquate aux circonstances et à la visibilité dont il disposait, compte tenu de la courbe sur laquelle il circulait. Le cycliste devait compter avec la possibilité de se retrouver face à un danger au sortir de la courbe, laquelle restreignait sa visibilité et donc aussi l’anticipation possible. Or, son allure ne lui permettait pas de s’arrêter sur la distance visible. Ainsi, la prudence commandée par les circonstances aurait dû l’amener à ralentir et à adapter sa vitesse à la visibilité dont il disposait.

La présence d’un piéton traversant une route touristique du Lavaux un dimanche soir d’été, vers 19h50, ne constitue pas un fait extraordinaire ou imprévisible qui relègue à l’arrière-plan le rôle causal joué par la faute du cycliste. Il n’y a donc pas rupture du lien de causalité adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et le décès de la victime.

En foi de quoi, le Tribunal fédéral renvoie la cause aux juges vaudois, qui avaient acquitté le cycliste du chef d’homicide par négligence en violation du droit fédéral (TF 6B_658/2022 du 24 mai 2023).