N°8/2024

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Par Albert VON BRAUN, avocat au service juridique de la Fédération vaudoise des entrepreneurs

Les rappels par la jurisprudence

La présente chronique revient, par une contribution d’Audrey Treccani, juriste au service juridique de la FVE, sur un important changement de pratique induit par une jurisprudence impliquant qu’il n’est désormais plus possible pour l’employeur de payer les vacances de ses employés par adjonction d’une part vacances sur sa rémunération mensuelle.

Nous proposons également un nouveau choix de décisions rendues par notre Haute Cour, offrant des éclairages précieux à l’entrepreneur, parmi lesquels:

  • Dans le domaine des marchés publics, un arrêt récent met en lumière les conditions strictes dans lesquelles une autorité adjudicatrice peut, par exception, adjuger un marché de gré à gré, et un second arrêt rappelle les conditions auxquelles une association professionnelle peut valablement former recours contre une décision d’adjudication.
  • Des décisions pertinentes pour l’entrepreneur en matière d’assurances sociales et de fiscalité complètent cette revue de jurisprudence.

Nous vous souhaitons une bonne lecture.

 

Payer mensuellement le supplément de salaire propre aux vacances est désormais interdit !

Payer mensuellement le supplément de salaire propre aux vacances était jusqu’à peu encore possible, bien que toutefois conditionné au respect d’exigences strictes. Dans un arrêt relativement récent (ATF 149 III 202), le Tribunal fédéral a néanmoins durci le ton; les employés à plein temps dont le salaire varie d’un mois à l’autre devront désormais obligatoirement pouvoir bénéficier de leurs vacances sous forme de jours de congés payés. Anticiper le paiement du supplément vacances en versant chaque mois le prorata relatif aux heures travaillées n’est ainsi plus possible.

Dans son arrêt du 30 janvier 2023 (ATF 149 III 202), le TF commence par rappeler que le salaire propre aux vacances doit par principe être payé lors de la prise effective de vacances. Le critère étant que le travailleur ne doit pas être placé, sur le plan salarial, dans une situation moins favorable durant ses vacances que s’il avait travaillé pendant ce même laps de temps. En outre, un paiement lors de la prise effective de vacances permet également de satisfaire à la maxime voulant que les vacances ne peuvent être remplacées par des prestations en argent ou d’autres avantages tant que durent les rapports de travail (art. 329d al. 2 CO).

Alors que la jurisprudence tolérait jusqu’alors quelques exceptions à ces principes en admettant un paiement mensuel de la part vacances, notamment pour tenir compte des difficultés occasionnées pour les personnes ayant une activité irrégulière, cette nouvelle jurisprudence pose désormais des conditions fermes et strictes pour cadrer les quelques rares cas dans lesquels un paiement mensuel est susceptible d’être maintenu.

Ainsi, une dérogation au principe de l’art. 329d CO demeure dès maintenant uniquement admissible lorsque les 3 conditions cumulatives suivantes sont remplies :

  • L’occupation du travailleur doit être irrégulière (il est ici fait référence à un temps partiel, par opposition à un temps plein notamment),
  • La part du salaire propre aux vacances (calculée en pourcentage du salaire ou encore versée en montant exact) doit être précisée de manière claire et explicite dans le contrat de travail.
  • L’indemnité de vacances doit figurer sur chacun des décomptes périodiques de salaire (montant concret)

On notera en outre que la simple mention « salaire vacances compris » dans le contrat ne suffit donc pas. Il est nécessaire que le salaire des vacances apparaisse en tant que tel par l’indication d’un montant ou d’un pourcentage déterminé, et ce aussi bien dans le contrat de travail que sur les différents décomptes de salaire édités par la suite.

En raison de la formulation claire de la disposition légale impérative qu’est l’art. 329d CO, servir le supplément propre aux vacances en même temps que le salaire de base ne doit être toléré qu’avec une extrême réserve, soit lorsqu’il existe des difficultés insurmontables qui rendent le paiement pendant les vacances pratiquement irréalisable. On pense par exemple à certains cas de travail à temps partiel auprès de différents employeurs.

Le TF retient désormais que de telles difficultés insurmontables n’existent plus pour les employés à temps plein, l’offre existante de logiciels informatiques et de systèmes divers de saisie du temps de travail étant actuellement suffisamment développée pour permettre le calcul et le paiement de l‘indemnité vacances sans que ceci ne présente d’inconvénient majeur. L’art. 329d al. 2 CO étant de nature impérative, tout accord qui placerait le travailleur dans une situation moins favorable serait nul. Le TF précise en outre que l’employeur garde la possibilité de chiffrer mensuellement le montant dû pour la part vacances en l’indiquant périodiquement sur la fiche de salaire de l’employé mais en ne déclenchant son paiement qu’au moment de la prise effective de vacances.

Recommandation du service juridique de la FVE : Le salaire des vacances ne pouvant à l’avenir plus être payé sous forme de supplément pour les employés à temps plein dont le salaire varie , la Fédération vaudoise des entrepreneurs invite ses coopérateurs à vérifier s’ils sont concernés par ce qui précède. Cas échéant, il conviendra d’adapter le mode de rémunération aux considérants qui précédent. A défaut, l’entreprise pourrait être amenée à devoir payer deux fois les vacances. Les coopérateurs sont ainsi invités à renoncer de manière générale au paiement des parts vacances avec le salaire de base, ce tant pour les travailleurs à temps plein qu’à taux partiel au profit de l’une ou l’autre solution commandée par notre Haute Cour.

Mes projets

Marchés publics

Adjudication de gré à gré – Fardeau de la preuve – Démonstration de l’existence d’une solution de rechange adéquate – Revirement de la jurisprudence Microsoft

Art. 8 CC
L’Etat de Vaud utilise de longue date le logiciel d’une société argovienne pour la gestion de son service des automobiles et de la navigation. En 2021, la Direction générale cantonale du numérique et des systèmes d’information décide d’acquérir la nouvelle version de ce logiciel et de prolonger sa collaboration avec la prestataire argovienne jusqu’en 2034, pour un prix total supérieur à CHF 45 millions.

Une entreprise saint-galloise commercialisant un logiciel similaire interpelle l’Etat de Vaud pour savoir pourquoi l’adjudication a eu lieu sans appel d’offres. La Direction générale compétente explique que les prestations reçues jusqu’ici de l’adjudicataire argovienne donnent pleine satisfaction et que l’acquisition de la nouvelle version de son logiciel constitue la solution la plus fonctionnelle et économique pour le canton. Ce dernier ne souhaite changer ni de solution, ni de fournisseur.

L’entreprise saint-galloise recourt contre la décision d’adjudication. Le Tribunal cantonal vaudois admet le recours et renvoie la cause à la Direction générale du numérique pour qu’elle mène un appel d’offres, conformément à la procédure ordinaire en matière de marché public.  Sur recours de l’adjudicataire argovienne, le Tribunal fédéral est appelé à clarifier qui doit prouver l’inexistence de solutions de rechange adéquates justifiant l’adjudication d’un marché public de gré à gré plutôt que dans le cadre d’un appel d’offres.

Le Tribunal fédéral rappelle d’abord que les marchés publics sont en principe adjugés dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres. Exceptionnellement, l’autorité adjudicatrice peut renoncer à un appel d’offres et adjuger le marché de gré à gré. Tel est notamment le cas lorsqu’un seul soumissionnaire entre en considération en raison des spécificités du marché et qu’il n’y a aucune solution de rechange adéquate.

L’existence d’une solution de rechange adéquate a une double importance. D’une part, lors d’une adjudication de gré à gré, seules les entreprises qui sont des soumissionnaires potentiels – c’est-à-dire qui offrent des prestations susceptibles de satisfaire aux exigences de l’autorité adjudicatrice – ont un intérêt et donc qualité pour recourir contre la décision d’adjudication. D’autre part, l’existence ou non d’une solution de rechange adéquate détermine, sur le fond, si le fait de passer par une procédure de gré à gré, plutôt que par une procédure d’appel d’offres, est licite.

Dans sa jurisprudence Microsoft (ATF 137 II 313), le Tribunal fédéral a retenu que l’entreprise non choisie supportait le fardeau de la preuve quant à l’existence d’une solution de rechange, que cette question soit examinée au stade de la recevabilité (qualité pour recourir) ou du fond. La doctrine majoritaire a largement critiqué cet arrêt et, comme précédemment évoqué, plusieurs juridictions fédérales et cantonales – y compris le Tribunal cantonal vaudois dans le cadre de l’arrêt attaqué – s’en sont expressément écartées. Les sources pertinentes soulignent notamment que la jurisprudence Microsoft méconnaît le fait que seule l’autorité adjudicatrice peut déterminer quelles solutions sont aptes à satisfaire ses besoins. En faisant peser l’entier du fardeau de la preuve sur l’entreprise non choisie, elle exonère l’autorité adjudicatrice de son obligation – pourtant centrale en droit des marchés publics – de définir, de façon objective, les spécifications du marché public pertinent.

Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral retient que les critiques doctrinales et jurisprudentielles sont fondées et qu’il y a lieu d’infirmer la jurisprudence Microsoft. Le pouvoir adjudicateur, et non l’entreprise non choisie, supporte le fardeau de la preuve quant à l’absence de solutions de rechange adéquates permettant sur le fond l’adjudication de gré à gré. A l’appui de sa qualité pour recourir, l’entreprise non choisie peut se contenter d’alléguer de manière crédible être fournisseuse potentielle de la prestation souhaitée.

Dans cette affaire, le Tribunal cantonal vaudois a retenu que la Direction vaudoise compétente n’avait pas prouvé de façon satisfaisante l’inexistence de logiciels alternatifs pour la gestion de son service des automobiles et de la navigation, mais s’était contentée de souligner le caractère satisfaisant des services de sa prestataire existante et ses préoccupations quant à une éventuelle migration informatique. La recourante (entreprise saint-galloise écartée) apparaissait au demeurant comme une prestataire potentielle crédible, le Canton de Zurich ayant récemment choisi ses services pour des prestations similaires.

En conclusion, le Tribunal fédéral rejette le recours et confirme la décision du Tribunal cantonal vaudois selon laquelle l’autorité adjudicatrice doit procéder à un appel d’offres, et ne pouvait se contenter d’adjuger ce marché de gré à gré à son prestataire argovien (TF 2C 50/2022 du 6 novembre 2023).

Qualité pour recourir des associations professionnelles contre une décision d’adjudication de gré à gré

Art. 56 al. 4 LMP, art. 56 al. 5 AIMP et art. 75 LPA-VD
En matière de marchés publics, une association professionnelle qui souhaite recourir contre une décision d’adjudication de gré à gré, sans être elle-même touchée par la décision entreprise, doit rendre plausible qu’une majorité ou un grand nombre de ses membres seraient à la fois aptes et disposés à soumissionner pour le marché en cause.

La Direction générale des immeubles et du patrimoine de l’Etat de Vaud (DGIP) lance un concours de projets pour le Gymnase du Chablais. Les lauréats du concours sont désignés. Par la suite, la DGIP adjuge de gré à gré la construction d’un autre gymnase, à savoir le Gymnase d’Echallens, aux lauréats du concours du Gymnase du Chablais. Deux associations professionnelles composées d’architectes et d’ingénieurs forment un recours au Tribunal cantonal vaudois contre les décisions d’adjudication de gré à gré de la DGIP. Le Tribunal cantonal déclare le recours irrecevable au motif que les associations n’ont pas la qualité pour recourir. Les associations forment alors un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit se prononcer sur la qualité pour recourir des associations professionnelles contre une décision d’adjudication de gré à gré.

La recevabilité du recours en matière de marchés publics suppose notamment que la décision attaquée soulève une question juridique de principe (art. 83 let. f ch. 1 LTF). En l’occurrence, le Tribunal fédéral ne s’est jamais prononcé sur la faculté des associations professionnelles de recourir contre les décisions d’attribution de marchés publics, en particulier contre des adjudications de gré à gré. Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral se penche alors sur la question de fond, à savoir si c’est à juste titre que le Tribunal cantonal a déclaré irrecevable le recours des associations faute de qualité pour recourir (cf. art. 89 al. 1 et art. 111 al. 1 LTF).

Le Tribunal fédéral rappelle qu’a qualité pour recourir celui qui a pris part à la procédure, est particulièrement atteint par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (art. 89 al. 1 LTF). En droit des marchés publics, la qualité pour recourir contre une décision d’adjudication suppose une chance d’obtenir le marché contesté en cas d’admission du recours. Lors d’une adjudication de gré à gré, la qualité pour recourir revient aux entreprises qui démontrent être des soumissionnaires potentiels pour le marché en question. Elles doivent rendre vraisemblable qu’elles disposent de la capacité réelle de réaliser les prestations requises et qu’elles auraient déposé une offre si un appel d’offres en procédure ordinaire avait été mené (cf. art. 56 al. 5 AIMP 2019 ; art. 56 al. 4 LMP).

Selon la jurisprudence, une association qui n’est pas elle-même touchée par la décision attaquée revêt la qualité pour recourir (recours corporatif égoïste) si elle a comme but statutaire la défense des intérêts de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité d’entre eux et que chacun de ceux-ci dispose de la qualité pour s’en prévaloir à titre individuel. En matière de marchés publics, les associations professionnelles doivent satisfaire aux conditions du recours corporatif égoïste lorsqu’elles recourent dans l’intérêt de leurs membres pour contester l’attribution d’un marché public sans appel d’offres. Par conséquent, les associations professionnelles qui recourent contre une décision d’adjudication de gré à gré doivent rendre vraisemblable que la majorité ou un grand nombre de leurs membres seraient à la fois aptes et disposés à déposer une offre pour le marché en cause. Il s’agit là d’une application combinée des règles sur la qualité pour recourir des associations et de celles sur la qualité pour recourir en matière de marché public.

En l’espèce, les associations recourantes n’ont pas rendu vraisemblable que la majorité ou un grand nombre de leurs membres auraient été aptes et prêts à participer au marché public en question en cas d’admission du recours. Le fait que les associations recourantes se composent d’architectes et d’ingénieurs ne suffit pas à cet égard. Partant, c’est à juste titre que le Tribunal cantonal a déclaré le recours irrecevable. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral rejette le recours (TF 2C 196/2023 du 7 février 2024).

Interprétation d’une servitude – Servitude de distance à la limite et droit public

Art. 738 CC
L’inscription au registre foncier d’une servitude de distance à la limite (Näherbaurecht) comprend le droit de construire à une distance inférieure à la distance légale à la limite du bien-fonds voisin. Ainsi, le propriétaire du fonds grevé doit tolérer que le propriétaire du fonds dominant construise sur son fonds à une distance inférieure à la distance minimale légale à la limite. Dans le cas d’une telle servitude réciproque, les propriétaires fonciers concernés s’engagent mutuellement à tolérer un bâtiment ou une partie de bâtiment de l’autre dans la zone de distance.

Lien avec le droit public – Les servitudes de distance à la limite doivent s’inscrire dès le départ dans le cadre de ce qui est admissible en droit public : il n’est pas possible de déroger aux règles de droit public sur les distances par cet instrument. Dans l’hypothèse dans laquelle le droit public ne permet pas aux deux propriétaires voisins de bénéficier de la servitude réciproque, le Tribunal fédéral considère, suivant la doctrine sur le sujet, que le premier constructeur bénéficie du privilège de distance alors que le second doit s’éloigner davantage de la limite pour résoudre le conflit entre la servitude et les prescriptions de droit public en matière de distance entre les bâtiments. Cette solution doit en tout cas prévaloir, lorsqu’il ne ressort ni du contrat de servitude ni des autres circonstances, que les parties contractantes ont une obligation de s’écarter de la limite dans la même proportion (TF 5A_955/2022 du 26 mai 2023).

Mes collaborateurs

Droit du travail

Congé abusif – Retour de grossesse

Art. 328 et 336 CO
Dans cette affaire, le Tribunal fédéral confirme que c’est à bon droit que la Cour cantonale a jugé que le congé avait été signifié par l’employeuse en raison des nécessités organisationnelles et du maintien de qualité des services pour les clients, au vu de l’absence prolongée de l’employée et que l’employeuse n’était pas responsable de la dégradation de son état de santé à l’origine de sa longue absence.

En acceptant la réduction du taux de travail à 80 %, consécutive à une incapacité de travail de six mois durant sa grossesse, puis à un congé maternité de l’ordre de trois mois et demi, et à un congé non payé de quatre mois et demi, l’employeuse avait consenti des aménagements adéquats et favorables à l’employée, en tenant compte de la situation et des souhaits de celle-ci. Contrairement à la thèse soutenue par cette dernière, rien ne démontrait que le portefeuille qui lui avait été confié à son retour de maternité avait été constitué par un collègue, avec la bénédiction de leur supérieur commun, afin de favoriser ses propres intérêts. Et il ne lui avait pas été garanti qu’elle retrouverait le même portefeuille qu’avant sa grossesse. Certes, celui dont elle avait hérité à son retour de maternité était d’une valeur moindre, et composé de clients moins intéressants que celui qu’elle avait géré précédemment ; mais cette circonstance n’était pas de nature à révéler un comportement illicite de l’employeuse, libre de déterminer le travail confié à son personnel dans le cadre d’un cahier des charges donné ; l’employée n’avait pas allégué que les tâches à effectuer n’auraient pas relevé de sa fonction (TF 4A_461/2023 du 27 août 2024).


Droit des Assurances sociales

Assurance-invalidité – Allocation pour impotent – Acte de la vie quotidienne exécuté de manière inhabituelle – Début du droit

Art. 42 LAI
Cette affaire porte sur la situation d’un assuré paraplégique ayant formulé une demande d’allocation pour impotent, laquelle lui a été reconnue en raison d’une impotence faible. L’assuré a recouru contre cette décision. Le TF commence par rappeler les principes relatifs à l’allocation pour impotent. Elle poursuit en relevant qu’il n’est pas contesté que l’assuré ne nécessite pas d’aide pour les actes ordinaires de la vie tels que s’habiller, se déshabiller et manger, mais qu’il a besoin de l’aide d’un tiers pour se lever, s’asseoir, se coucher, faire sa toilette et se déplacer. C’est ce qui a justifié l’allocation pour impotent de degré faible.

L’assuré fait valoir que, bien qu’il parvienne à évacuer ses selles manuellement de manière autonome, cela lui prend un temps considérable, ce qui entraînerait une restriction personnelle dans son mode de vie. Par conséquent, l’assuré fait valoir qu’il ne peut faire ses besoins que d’une manière inhabituelle et au prix d’efforts déraisonnables. Il estime ainsi avoir droit à une allocation pour impotent de degré moyen.

Le TF relève que le fait que l’assuré ne puisse accomplir un acte ordinaire de la vie que de manière inhabituelle ne permet pas de conclure directement à un besoin d’aide d’une personne tierce. Le TF examine alors ses précédentes jurisprudences où l’impotence avait été admise pour le fait de devoir vider sa vessie six fois par jour au moyen d’un cathéter, cela étant alors considéré comme inhabituel. Il rappelle également son arrêt concernant l’évacuation manuelle des intestins où une impotence avait été admise. Le TF relève néanmoins que les jurisprudences précitées ne pouvaient être appliquées au cas d’espèce. C’est ainsi que, bien que le fait de faire ses besoins soit particulièrement inhabituel pour l’assuré, cela ne permet pas de retenir qu’il lui serait possible, avec l’aide d’un tiers, d’accomplir cet acte d’une manière plus habituelle et moins couteuse ou moins contraignante. Par conséquent, dans la mesure où il n’est pas démontré le besoin d’un recours à un tiers, le TF considère que l’allocation pour une impotence faible n’est pas contestable.

Dans un considérant supplémentaire, le TF examine encore le moment à partir duquel l’allocation pour impotent doit être versée. La demande était datée du 11 octobre 2021. En revanche, d’autres demandes de prestations, ne concernant pas l’impotence, avaient déjà été adressées à l’Office AI à partir du 11 août 2017. Or, dans ce cadre, ce dernier avait déjà examiné la question de l’impotence et pouvait ainsi instruire cette question. Le TF relève ainsi que, en cas de paraplégie complète, une allocation pour impotent de degré faible peut, conformément à la pratique, être versée sans examen. Il ajoute également que le fait d’être tributaire d’un fauteuil roulant permet de considérer la personne comme impotente pour les actes ordinaires de la vie « se déplacer/prendre contact ». Par conséquent, le TF parvient à la conclusion que l’office AI disposait déjà, lors de la première demande du 11 août 2017, d’indices suffisants concernant l’impotence de degré faible. Dans ces circonstances, l’office AI aurait dû procéder à des clarifications dès cette date. Cela justifie le versement de l’allocation pour impotent de manière rétroactive (TF (C_103/2023 du 6 décembre 2023).

Mes litiges

Droit fiscal

Revenu de la prévoyance – Classification fiscale des rentes

Art. 22 al.1 et 204 LIFD
L’article 22 LIFD prévoit ce qui suit :

  1. Sont imposables tous les revenus provenant de l’assurance-vieillesse et survivants, de l’assurance-invalidité ainsi que tous ceux provenant d’institutions de prévoyance professionnelle ou fournis selon des formes reconnues de prévoyance individuelle liée, y compris les prestations en capital et le remboursement des versements, primes et cotisations.
  2. Sont notamment considérés comme revenus provenant d’institutions de prévoyance professionnelle les prestations des caisses de prévoyance, des assurances d’épargne et de groupe ainsi que des polices de libre-passage.
  3. Les rentes viagères et les revenus provenant de contrats d’entretien viager sont imposables à raison de 40 %. 53 Des époux exerçaient leur activité de médecin-dentiste dans leur propre cabinet dentaire. Le litige porte sur la question de savoir si les rentes de la BÄV (Bayerische Ärzteversorgung) versées aux époux contribuables A. et B. doivent être imposées à 40% en tant que rentes viagères, conformément à l’art. 22, al. 3, LIFD, ou en principe intégralement, conformément à l’art. 22, al. 1, LIFD.

Dans cette affaire des contribuables avaient leur domicile fiscal en Suisse et percevaient des rentes versées par l’Allemagne, lesquelles étaient imposées en Suisse. L’assurance obligatoire allemande dans un régime de prévoyance professionnelle est fonctionnellement la plus comparable à l’AVS et, en partie, selon le niveau de prestations atteint, à la prévoyance professionnelle en Suisse. Sur l’ensemble de leur activité professionnelle, lesdits contribuables n’ont été affiliés à la BÄV que pendant une courte période. Pour la majeure partie de leur activité indépendante en Suisse, ils étaient assurés à titre facultatif. A partir de ce moment, cette assurance a joué le rôle de prévoyance professionnelle.

Le Tribunal fédéral confirme ainsi que ces pensions sont bien imposables en plein comme des revenus provenant de la prévoyance selon l’art. 22 al. 1 LIFD et pas à 40% comme des rentes viagères au sens de l’art. 22 al. 3 LIFD (TF 9C_83/2023 du 19 décembre 2023).

Commerce professionnel d’immeubles – fortune commerciale ou activité lucrative indépendante

Art. 18 al. 2 LIFD et 8 LHID
Dans cette affaire vaudoise, la question se pose de savoir si la qualification de fortune commerciale ou d’activité indépendante en relation avec des ventes immobilières retenue auprès d’un contribuable décédé passe et s’applique de la même manière à son héritière, en l’occurrence son épouse. Cette dernière soutient qu’elle ne doit pas être considérée comme ayant exercé une activité indépendante en tant que professionnelle de l’immobilier, et donc que le gain immobilier réalisé sur la vente d’immeuble litigieuse ne doit pas être imposée pour l’IFD et l’ICC au titre de l’impôt sur le revenu, mais au titre de l’impôt cantonal et communal sur les gains immobiliers.

Saisi d’un recours, le Tribunal fédéral rappelle que chaque situation de ce type doit être appréciée au prisme de différents critères qu’il convient de pondérer. Ainsi en l’occurrence, la création d’une société simple pour gérer ces ventes d’immeubles peut constituer un indice en faveur d’une situation de commerce professionnel d’immeubles. Par ailleurs, le fait que l’immeuble litigieux soit financé en quasi-totalité par des fonds étrangers tend à démontrer qu’on n’est pas en présence d’une simple gestion de la fortune privée. En revanche, le seul fait que la détention de l’immeuble ait atteint environ dix ans, soit une période relativement longue ne suffit pas à contrebalancer les autres éléments permettant de considérer que la contribuable a dépassé la simple administration courante de sa fortune privée dans le cadre de l’opération immobilière litigieuse.

Au terme de son analyse, le Tribunal fédéral confirme l’appréciation de l’administration fiscale vaudoise et retient que c’est à bon droit en l’espèce que la vente litigieuse d’immeuble a été taxée au titre du revenu provenant d’un activité lucrative indépendante (TF 9C_81/2023 du 18 septembre 2023)