«La fédération doit défendre ses entrepreneurs et ne laisser aucune autre entité le faire à sa place» 

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Sur le point de clore un chapitre important de son parcours, Jean-Marc Demierre remet la présidence de la FVE. Entré au conseil d’administration de la « fédé » en 2012, il rejoint le comité directeur en 2014, à la suite de l’accident d’hélicoptère survenu cet automne-là, qui emporte plusieurs de ses proches collègues de la direction.

Cet événement tragique précipite sa nomination au comité directeur, puis à la présidence en mars 2015, dans des conditions particulièrement éprouvantes, tant sur le plan professionnel qu’humain. Il reprend alors la fonction dans l’urgence et se souvient encore avec émotion du soutien indéfectible des partenaires et d’un comité directeur plus uni que jamais. 

En septembre 2024, il passe le flambeau de la présidence à Michel Ducommun et s’accordera une respiration professionnelle bien méritée, après presque une décennie marquée par de nombreux défis. C’est dans la salle du comité directeur, cœur battant de la FVE, que nous le rencontrons pour un échange. 

Vous êtes en pleine transition de la direction de l’entreprise ADV, que vous avez dirigée jusqu’en septembre 2023 et quitterez la présidence de la FVE en septembre 2024. Il vous reste cependant quelques années avant la retraite officielle. Pourquoi avez-vous décidé de mettre fin à ces activités maintenant, et quels sont vos projets pour la suite? 

Ces dix dernières années, j’ai assumé un rythme éprouvant et j’ai ressenti le besoin de lever le pied. Et pour la fédération, il est également temps d’apporter de nouvelles idées. J’aurai passé douze ans au Conseil d’administration (CA), dont presque dix à la présidence, ce qui est très long comparé à la durée historique de ce mandat, qui est habituellement de trois à six ans. Quant à mes projets, je me suis donné environ une année pour prendre du recul et voir les opportunités, car c’est difficile d’être autant impliqué dans ses activités professionnelles et réfléchir en parallèle à ce qu’on souhaite pour la suite. Jusqu’au 5 septembre, je continue donc à faire mon job de président et ensuite, on verra.

Au fait, comment devient-on président de la FVE? 

Les membres du conseil d’administration (CA) sont généralement issus des comités des sections régionales des groupes professionnels (gros œuvre, bois, métal, plâtrerie-peinture). Une fois au CA, les membres se concentrent sur la stratégie du Syndicat patronal. Vous avez ensuite la possibilité d’intégrer le comité directeur (CD), et là votre plan de charge s’élargit considérablement : vous devenez alors membre du Conseil de fondation de l’Ecole de la construction, du Comité de direction des Institutions sociales (caisse AVS), du Conseil de fondation de la CRP (caisse de retraite) et de la CAFEV (caisse d’allocations familiales), du Conseil de fondation des IS-IVC et de la PPE de Tolochenaz, tout en continuant à superviser le Syndicat patronal. Ce passage à des engagements plus larges est très intense, mais permet d’avoir une vision globale.  

Avez-vous ressenti de la peur en prenant ces responsabilités dans le contexte difficile qui a suivi l’accident d’hélicoptère, touchant une partie de la direction de la FVE, dont le président de l’époque M. Jean-Pierre Rosselet? 

Je ne pouvais pas avoir peur, car je ne savais pas ce qui m’attendait. Mais ce qui a été décisif dans les premiers mois, c’est la tolérance des personnes que j’ai côtoyées, que ce soit dans les autres associations professionnelles ou dans le monde politique. Au début, j’ai dû sûrement faire des erreurs et raconter des bêtises, mais j’ai ressenti beaucoup de compréhension autour de moi. Je n’ai pas été jugé et on m’a laissé le temps d’apprendre. 

Quelles valeurs ont guidé votre présidence? 

Ceux qui ont guidé mes choix durant toute la durée de mon mandat, ce sont les entrepreneurs. J’ai toujours défendu leurs intérêts, et rappeler que dans nos métiers, ce sont les compétences des hommes, cultivées et développées par les patrons, qui font la force de nos entreprises. Car n’oublions pas que la formation professionnelle est la clé de voûte de notre système associatif. Un autre aspect indispensable pour moi était que le comité directeur soit solidaire et convaincu. Toutes les décisions importantes ont été discutées autour de cette table. Oui, cette table, c’est quelque chose… Ici, on se dit tout, les choses agréables comme les moins bonnes. Et si nous ne sommes pas d’accord, nous continuons à discuter, encore et encore, jusqu’à ce qu’un accord commun soit trouvé. Alors, on sort de cette salle d’un bloc.  

Pourriez-vous évoquer les réalisations ou souvenirs qui ont marqués votre mandat et que vous garderez à l’esprit? 

L’organisation de la première édition de l’Initiale en septembre 2015, alors que je venais de prendre la présidence, reste un souvenir particulier. Avant cela, l’assemblée générale de la FVE se tenait à Beaulieu durant le salon Habitat & Jardin, et lorsque la rencontre se terminait, je voyais nos membres filer sur les autres stands pour discuter et boire un verre. J’ai donc pensé qu’il serait judicieux d’organiser un événement pour partager un moment informel avec nos coopérateurs. C’est ainsi qu’est née «L’Initiale». C’était important pour moi d’organiser cette soirée sur notre site de Tolochenaz, là où j’ai travaillé comme chef d’équipe sur le chantier de l’Ecole et où j’ai fait ma maîtrise de maçon. Je suis d’ailleurs fier de dire que j’ai coffré le plafond de la bibliothèque. 

Nous avons également accompli un énorme job pour que les entrepreneurs retrouvent la place qu’ils méritent au niveau politique. Le domaine de la construction représente 8% du PIB vaudois et il me semblait essentiel de faire valoir leurs idées et préoccupations. J’ai toujours considéré que la fédération devait défendre ceux qu’elle représentait et ne laisser aucune autre entité le faire à sa place.  

Je pourrai également citer la naissance de Constructionromande en 2017, qui a permis la création d’un axe lémanique fort avec les canton de Vaud, Genève, et Valais, allié au reste de la Suisse romande. 

En 2018, l’acquisition du terrain d’Echallens pour le futur Centre de formation a été un vrai atout pour moderniser la formation continue. Je rêvais d’un Centre où nos entrepreneurs pourraient suivre toutes les formations qu’ils estimaient nécessaires, sans dépendre du niveau fédéral. C’est désormais réalité. Et si nous avons vu juste, ce lieu deviendra indispensable ces prochaines années, car il est le maillon manquant dans la formation et la transition des métiers. Il faut de l’unité entre la fédération et ses membres pour avancer dans le combat du changement climatique, et de ses conséquences sur nos métiers, c’est ensemble qu’il faut agir. 

Enfin, difficile de ne pas mentionner les années de Covid-19, 2020 et 2021. Le comité directeur n’a jamais autant travaillé et rencontré de gens. Je nous revois dans la salle du conseil d’administration chaque mercredi, pour suivre la conférence de presse du Conseil fédéral, puis le gros travail de communication et d’accompagnement juridique pour nos membres, la mise en place de tests Covid à Tolochenaz ou encore la distribution gratuite de milliers de masques aux entrepreneurs et leurs employés. Nous avons accompli un travail colossal ! 

Et en 2024, le départ de Georges Zünd et l’ouverture du Centre de formation des métiers de la construction à Echallens ont été des étapes très significatives pour la fédération. 

Vous évoquez Georges Zünd, avec qui vous avez formé un solide binôme durant votre présidence. Quelle relation entreteniez-vous ensemble, pouvez-vous en dire quelques mots ? 

Monsieur Zünd possédait à peu près toutes les compétences que je n’avais pas. Et je ne voyais pas meilleure manière de collaborer que de former un binôme transparent. Ainsi, nous avions convenu que tout ce qu’il savait, je le savais, et vice versa. Nous étions en contact quotidiennement. Il me racontait sa journée sous l’angle « fédé politique » et je lui racontais la mienne sous l’angle « fédé entrepreneur ». Notre force résidait sans doute dans notre complémentarité, notre respect et notre loyauté mutuelle. Pour nos différents interlocuteurs, il était presque impossible de nous piéger, car nous étions toujours au fait des discussions de l’un et de l’autre. 

Vous avez également travaillé en étroite collaboration avec Michel Ducommun, qui vous succèdera à la présidence de la fédération. Quels conseils lui donneriez-vous pour réussir dans cette fonction ? 

Cela fait bientôt 10 ans que nous siégeons ensemble au Comité directeur. C’est une personne pleine de belles valeurs, alors qu’il ne change rien. Il a l’expérience et la connaissance nécessaires. Je lui souhaite plein de succès et surtout beaucoup de plaisir dans son rôle de président. 

Si vous pouviez revenir en arrière et parler au jeune Jean-Marc Demierre qui vient d’obtenir son CFC de maçon, que lui diriez-vous ? 

Je lui dirai que l’acte de construire est enrichissant et valorisant, et que ce n’est pas le métier qui fait la personne. Je lui dirai que son destin lui appartient et qu’il peut influencer son chemin.